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Comment les bonnes actions peuvent aboutir à une situation indésirable

Par Mathieu Perchat le 2023/11
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Comment les bonnes actions peuvent aboutir à une situation indésirable

Par Mathieu Perchat le 2023/11

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

Au Bas-Saint-Laurent, la majorité des villes mettent l’accent sur la participation citoyenne pour effectuer le recyclage des déchets pouvant être valorisés. Par exemple, la ville de Rimouski a réalisé plusieurs ateliers sur la question en septembre et octobre 2023.

Pourtant, en poussant les personnes à réaliser ces petits gestes, il se pourrait que cela ne fasse qu’aggraver potentiellement leur impact écologique.

En effet, plusieurs recherches ont pu mettre en évidence que la réalisation d’une bonne action pouvait entrainer la désinhibition des individus dans leurs comportements à plus fort impact écologique. Par exemple, on retrouve se phénomène dans le choix de nourriture : en choisissant une salade, considérée comme un choix santé, on pourrait se croire dans le droit de pouvoir choisir un dessert bien plus sucré, dont on se serait abstenu sans le choix préalable de la salade (Clot, 2014, p. 558). Un effet de compensation a eu lieu, mais avec un plus fort impact lors de la compensation que sans la réalisation de la bonne action.

La compensation

Ce biais comportemental remet en question l’efficacité de certaines politiques environnementales. Pire encore, certaines politiques pourraient mettre en avant leur bénéfice, aggravant de ce fait l’effet de compensation. Par exemple, en mettant en avant la possibilité de créer des usines de décarbonations, la population pourrait se dire que ses émanations carbones pourront être absorbées par la suite, donc inutile de changer quoi que ce soit. Pire encore, elle pourrait légitimer encore plus de projets qui vont à l’encontre de la limitation de la crise écologique.

Plus concrètement, la compensation se retrouve chez les compagnies aériennes qui offrent la possibilité d’acheter des crédits carbone afin d’atténuer le rôle joué par le secteur aérien dans le réchauffement climatique. En réalité, il s’avère que ce programme aurait surtout permis de réduire la culpabilité des usagers et que, paradoxalement, l’achat de crédits carbone aurait ainsi contribué à accroître le trafic aérien (Clot, 2014, p. 559).

Ainsi, la compensation morale peut se définir comme « la réalisation d’un acte individuel moralement valorisable peut donner lieu à la légitimation (généralement inconsciente) d’un acte moralement moins valorisable par la suite » (Clot, 2014, p. 559).

Son rayon d’action

Cette désinhibition n’agit pas seulement individuellement, la croyance d’avoir ce droit a un impact sur les autres personnes. En effet, les études démontrent que le comportement de désinhibition influe sur les autres personnes, qui vont ajuster leur comportement en fonction de celui des autres. De ce fait, elles vont se sentir légitimes elles aussi de compenser leurs bonnes actions (Clot, 2014, p. 565).

Ainsi, si une personne de notre entourage dit avoir le droit de se promener toute la fin de semaine dans son auto par ce qu’elle ne l’a pas utilisé le reste de la semaine, ce comportement de compensation pourrait vous faire croire que ce comportement est légitime à adopter.

            Un compte moral ?

De manière théorique, cette compensation fonctionne comme si chaque personne disposait d’un compte moral, dont chaque comportement va créditer ou débiter son compte. Par exemple, en achetant des ampoules basse consommation, on crédite son compte d’une bonne action écologique, qui va nous permettre de laisser inutilement allumer les lumières, même si la dépense devient supérieure à la consommation d’ampoules classiques mais avec un usage raisonnable. Ici, l’achat d’ampoules spéciales octroie le crédit d’une utilisation moins vertueuse (Clot, 2014, p. 566).

Ainsi, les comportements moins écologiques risquent d’apparaitre plus favorables qu’ils ne le sont en raison de ce compte moral. Par exemple, une personne pourrait se dire légitime de prendre l’avion car elle a adopté le reste de l’année un régime végan. Pourtant, le cout écologique d’un voyage en avion est de loin supérieur à celui d’une semblable alimentation.

            Un effet inconnu…

En conclusion, une politique qui incite les personnes à adopter des comportements écologiques désirables pourrait générer sans le vouloir des désinhibitions ou une propension à réaliser un acte écologiquement indésirable.

« La réalisation d’actions minimes, comme éteindre la lumière en sortant d’une pièce, pourrait désinhiber l’individu et involontairement lui octroyer le droit de réaliser des actions indésirables du point de vue de l’environnement, comme le fait d’utiliser un véhicule personnel plutôt que les transports en commun » (Clot, 2014, p. 568). Il est alors primordial de mettre au courant la population contre cet effet pour l’endiguer. Malheureusement, il reste très peu connu.

Clot, Sophie, et al. « L’effet de compensation morale ou comment les « bonnes actions » peuvent aboutir à une situation indésirable », Revue économique, vol. 65, no. 3, 2014, pp. 557-572.

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