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La production de l’évidence hétérosexuelle chez les enfants

Par Mathieu Perchat le 2023/10
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La production de l’évidence hétérosexuelle chez les enfants

Par Mathieu Perchat le 2023/10

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

De nombreuses dénonciations en matière de violence sexuelle dans le réseau scolaire ont amené à une série d’enquêtes. Qui ont mené à l’établissement d’une aide financière pour que les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) puissent assurer une sensibilité auprès des élèves à la violence à caractère sexuel.

La question des mythes et préjugés genrés doit être abordée dès le plus jeune âge, afin de prévenir les violences sexuelles et les discriminations associées.

Pourtant, peu de travaux de recherches ont été menés avec la population des jeunes enfants adoptant leur point de vue, et non celui des adultes.

En se plaçant au niveau des enfants et de leur culture, il devient indéniable du rôle des adultes dans la construction des représentations genrées, des normes et des pratiques en termes d’amour et de sexualité (Diter, 2023, p. 22).

L’un des problèmes majeurs est celui de l’apparente évidence de l’hétérosexualité, « malgré son caractère socialement et historiquement construit » (Diter, 2023, p. 22).

            La naturalisation de l’hétérosexualité

Le premier acteur auquel on pense quant à l’intériorisation de l’hétéronormativité est celui des médias et des productions culturelles. La majorité laisse apparaitre des couples femme/homme sur un registre romantique, alors que les relations femme-femme et homme-homme sont de l’ordre de l’amitié.

Or, les comportements, attitudes, remarques et injonctions ordinaires des instances sociales qui encadrent les enfants participent très certainement bien plus à l’intériorisation d’une hétéronormativité.

Les adultes présentent souvent l’amour « comme quelque chose de naturel, résultant d’une « alchimie » entre deux personnes de sexe différent et débouchant mécaniquement sur l’arrivée d’un·e ou plusieurs enfants » (Diter, 2023, p. 23).

La naturalisation de l’hétérosexualité provient alors de la manière dont les adultes décrivent le sentiment amoureux aux enfants, par son lien intrinsèque avec la procréation. La sexualité a alors une visée principalement reproductive, qui permet un couple hétérosexuel.

Présomption de l’hétérosexualité

Dans les interactions que les adultes ont, une présomption de l’hétérosexualité est posée chez les enfants. Par exemple, une relation entre enfants de même genre répondant aux codes d’une relation amoureuse, est systématiquement qualifiée d’amicale par les adultes. Alors qu’une relation amicale entre une fille et un garçon est systématiquement qualifiée d’amoureuse. Et ce sont ces interprétations stéréotypées qui contribuent à naturaliser l’hétérosexualité.

Bien entendu, l’invisibilisation des relations homosexuelles est souvent justifiée par l’âge des enfants. Car cette thématique de l’homosexualité renvoie pour les adultes à des questions politiques et des pratiques sexuelles. Alors qu’elles sont avant tout des pratiques affectives et amoureuses (Diter, 2023, p. 28).

            Le rappel par les paires

L’intériorisation de l’hétéronormativité passe aussi par les moqueries et insultes homophobes provenant des paires. Traduisant un rappel du caractère naturel et nécessaire de l’hétérosexualité.

Le rappel à la norme par les paires ne s’impose pas de la même manière chez les filles et les garçons. Chez les premières, le caractère contraint et obligatoire de l’hétérosexualité s’impose à elles par la nécessité d’avoir un enfant plus tard. Et chez les seconds, c’est par la panique de l’homosexualité qui les conduit à devoir réaffirmer leur statut et identité masculine, en se tenant à l’écart de tout ce qui pourrait les féminiser (Diter, 2023, p. 23). De ce fait, ces moqueries ont pour effet de renforcer les frontières de genre.

Les relations entre garçons et filles ne peuvent être alors qu’affectifs, mais entre le même genre, elles ne peuvent qu’être amicales.

L’efficacité des moqueries est d’autant plus forte en raison de l’absence de remise en cause par les adultes, qui ont parfois une tendance à les perpétrer eux·elles-mêmes très largement, « que ce soit au sein de l’école ou à l’intérieur du foyer » (Diter, 2023, p. 33).

En résumé, « dès l’entrée à l’école élémentaire, l’hétérosexualité est pensée et perçue comme un phénomène évident par les enfants. Les principales instances de socialisation – parents, professionnel·les de l’enfance, pairs – présument, voire tiennent pour acquise, l’hétérosexualité des garçons et des filles, en qualifiant systématiquement les relations hétérosexuées en relations amoureuses et les relations homophiles en relations amicales, ce qui exclut ainsi du champ du possible et du pensable toute forme alternative de pratiques ou de représentations des amours et des amitiés » (Diter, 2023, p. 37).

Diter, Kevin. « La production de l’évidence hétérosexuelle chez les enfants », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 249, no. 4, 2023, pp. 20-37.

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