Actualité

La douce France, du passé au présent

Par Jean-Francois Vallée le 2023/10
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La douce France, du passé au présent

Par Jean-Francois Vallée le 2023/10

Pour une fois, je ne suis pas en « mots dits ». Très enchanté, plutôt. C’est que cet été, j’ai parcouru la France du nord au sud, sur la piste de mes ancêtres. J’y ai vécu plus qu’un choc : une vraie prise de conscience.

Imaginez : je n’étais pas retourné voir nos cousins et cousines depuis le bicentenaire de la Révolution française, en 1989. Depuis 30 ans, je parcourais le vaste monde sans vraiment avoir mesuré la distance, l’éloignement ainsi provoqué par rapport à mes racines. Cette fois, même les Parisiens me sont apparus beaucoup plus courtois qu’à l’époque; ils ne klaxonnent plus pour rien, et conduire dans la Ville lumière est presque devenu un jeu d’enfant. En 21 jours, aucune voiture de police n’a explosé devant moi.

Au contraire, de la Normandie à l’Aquitaine, j’ai ressenti l’affection profonde que nous vouent les Français… Les Québécois jouissent d’un formidable capital de sympathie partout dans l’Hexagone. Le passé comme le présent continuent de nous lier. Les liens héréditaires et culturels ont bel et bien survécu, intacts, à l’éloignement géographique et aux aléas de l’histoire. Les Français nous ressemblent tellement : fêtards, buveurs, jouisseurs, excessifs en tout, expansifs et généreux. Épicuriens, quoi… Même s’ils sont souvent plus râleurs que nous.

À la faveur du vin qui coule là-bas comme de l’eau et réchauffe le sang dans nos veines, les cœurs et les bras s’ouvrent et les langues se délient. Mais dans tous les départements du Nord et de l’Est d’où sont partis nos ancêtres, il y a beaucoup plus : en quittant ces régions tout au long du 17e et du 18e siècle, ils ont laissé un peu d’eux-mêmes en France. Il faut contempler les gravures et les vitraux dans les églises ou les fresques et les mémoriaux dans les parcs pour mesurer à quel point ces départs étaient déchirants : l’espoir et l’aventure d’un côté; de l’autre, la peur d’oublier ses proches et de ne jamais revenir. Selon les caprices de la météo, la périlleuse traversée de l’Atlantique, souvent mortelle, exigeait de trois semaines à deux mois. À Honfleur, sur l’édifice de la lieutenance, tout Québécois sera ému devant le buste de Samuel de Champlain. On y apprend que sur ses 21 allers-retours, Champlain est parti huit fois de là. Combien fallait-il qu’il aime la Nouvelle-France et ait tout misé sur ce projet fou!

Je vous encourage à chercher l’origine de vos ancêtres, peut-être partis il y a plus de 16 générations… Vous ressentirez sans doute ce que j’ai vécu à Mortagne-au-Perche et à Rouen : entrer dans une église et voir, gravées dans le marbre, des phrases comme celle-ci : « Honneur aux vaillants pionniers. Je me souviens. » Ou ce splendide vitrail qui met en scène et donne la parole à notre ancien premier ministre Honoré Mercier, venu à son tour sur la trace de ses ancêtres : « Nous n’avons oublié ni Dieu ni la France », se serait-il exclamé.

Le francophone nord-américain en général et le Québécois en particulier est un être condamné à errer, l’air hagard, dans ce grand continent étranger qui le nie. Cet empire britannique, relayé par le néocolonialisme canadian, a fini par nous aliéner profondément, au point de nous rendre étrangers à nous-mêmes. Partout où le francophone se promène en Amérique du Nord, il doit se plier à la langue et à la culture de l’autre. Notre présence suscite l’indifférence, quand ce n’est pas carrément l’agacement, l’intolérance ou l’agressivité. Mais dans le tourbillon d’émotions que ces images et ces paroles gravées ont fait monter en moi, j’ai trouvé un filon. Reconnecter avec le grand rêve français en Amérique, c’est redonner un sens à notre identité.

En France, contrairement au Canada, le Québécois se fera renvoyer une image positive de lui-même. Bien sûr, on raillera un peu son accent : les Français sont si prompts à oublier que la France elle-même est traversée de part en part d’accents régionaux tout à fait charmants, chantants, et typiques… mais il sera vite rassuré : partout où il passera, il sentira une profonde affection, une véritable connivence pour les descendants de cette partie expatriée d’eux-mêmes. Comme entre les Britanniques et leurs « cousins » devenus étatsuniens ou… canadiens.

En définitive, oublier complètement la France, ce serait perdre notre boussole. Être un citoyen du monde, d’accord, mais non sans mettre en valeur nos racines.

Plus de 180 villes et villages français sont déjà jumelés avec des localités québécoises. Il est de notre devoir de maintenir, d’enrichir et d’actualiser ces jumelages. Et ça commence par sillonner la France.

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