
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local
La nuisance sonore est d’ordinaire prise en compte dans les multiples réglementations municipales. En effet, les zonages et les modifications possibles, les autorisations ainsi que les documents d’urbanisme sont autant d’outils à la disposition des municipalités pour prévenir des désagréments liés au voisinage. Pourtant, des problèmes peuvent émerger de l’articulation de ces multiples réglementations.
Ce que traduit le foisonnement de ces règlements, c’est la banalité de la nuisance sonore, et sa banalité entraîne sa banalisation. Provoquer de la nuisance sonore et la subir deviennent des phénomènes ordinaires, alors que le bruit entraîne de véritables effets sur la santé de la population qui en est victime : « Le bruit pose un problème de santé publique, contribuant au “mal-être” de la majorité des individus. Au-delà des lésions purement médicales (fatigue auditive, surdité, mais aussi troubles des systèmes nerveux et cardiovasculaire, fatigue physique, stress psychique, etc.) qui en font un élément pathogène, ce sont de manière plus générale les conditions d’existence, la “qualité de la vie” des personnes qui sont en péril1. »
Selon Organisation mondiale de la santé (OMS), et l’Institut national de santé publique du Québec qui reprend les grandes idées de l’OMS, la nuisance sonore se définit comme un « phénomène acoustique produisant une sensation auditive jugée désagréable ou gênante ». Ce que cette définition met de l’avant, c’est la prédominance d’une gêne qui provoque de véritables troubles psychologiques liés au stress que le bruit répété provoque. Il en découle des effets physiologiques comme des problèmes « cardiovasculaires chez les sujets exposés au bruit de manière chronique2 ».
Le terme de « gêne » employé par l’OMS pour qualifier la nuisance sonore n’est pas à prendre à la légère. La gêne traduit un malaise physique, ou une oppression; ou encore qualifie une « situation […] désagréable, imposant une contrainte à quelqu’un ; obstacle empêchant le développement de quelque chose3 ». Ainsi, la gêne qu’entraîne la nuisance sonore, outre les conséquences sur la santé, nuit à la liberté des individus exposés.
Un cas marquant
Malgré les outils municipaux et les recommandations de l’OMS, de nombreuses personnes sont exposées à des nuisances sonores évitables sur des périodes non négligeables, ce qui atteint leur bien-être, leur quiétude, leur santé et leur liberté.
Par exemple, à Rimouski, un conflit entre des citoyens et les propriétaires d’une aire de jeu de dek hockey située sur un toit entouré de logements perdure depuis juillet 2020.
Ce conflit a initialement été amorcé en mars 2017 par une maladresse de la part de la Ville qui a autorisé, sans études sonores préalables, un changement de zonage à la demande de l’entreprise à qui appartient l’aire de jeu, alors que la Ville savait que cette entreprise faisait déjà l’objet de plaintes pour nuisances sonores. Ce changement de zonage a été présenté très brièvement lors d’un conseil municipal alors qu’il était très difficile pour quiconque de comprendre tous les enjeux qui en découleraient.
Dès les premières joutes de dek hockey en juillet 2020, les citoyens et les citoyennes ont fait part à la municipalité de la nuisance sonore occasionnée par cette activité sportive. Et depuis, la population bataille toujours pour tenter de retrouver une certaine quiétude malgré les recommandations de la Direction régionale de la santé publique (DSP) adressées directement à la Ville à deux reprises (2021 et 2023).
Quelques chiffres
Par exemple, durant les quatre moins qu’a duré la saison 2022, on compte en moyenne 30 heures par semaine de joutes de ligue adulte et junior sur le toit. Les joutes ont lieu six soirs sur sept, du dimanche au vendredi, du début de soirée jusqu’à 22 h 20. Le dimanche, elles commencent en début d’après-midi jusqu’en fin de soirée totalisant au moins neuf heures de joutes en continu. À cela, s’ajoutent les activités pour les jeunes tous les samedis matin en été, les camps de vacances pour jeunes durant les journées de semaine, les tournois et la location de la surface.
Si le conflit sonore occasionné par le terrain de jeu n’est pas encore résolu, c’est en raison du statut banal de ce type de nuisance, amenant la Ville à ne pas prendre au sérieux son rôle, comme de représenter les intérêts des citoyennes et des citoyens, ou encore d’utiliser son pouvoir d’influence pour sensibiliser la population à une cause ou à de saines habitudes en matière de bon voisinage. La banalité avec laquelle on considère les problèmes de bruit est perceptible dans l’autorisation de construire cette infrastructure sans études sonores préalables. En plus de du manque de transparence de la Ville et du peu de sérieux accordé à l’affaire, on peut aussi parler de « détournement cognitif » (ou gaslighting en anglais), qui consiste en partie à nier les ressentis d’autrui, en affirmant que ce sont les personnes qui ressentent une gêne qui sont le problème et non ceux qui la causent. Tout cela, malgré l’énergie que met la population concernée pour tenter de s’extraire de cette situation.
La nuisance sonore n’est vraiment pas un problème qu’il faut négliger. Bien au contraire, elle relève de la santé publique, les municipalités devraient lui accorder une place plus importante que celle qu’elle donne aux intérêts économiques.
1. Jaworski, 2012, cité dans Gaëlle Audrain-Demey, « 9. Le bruit », Droit de l’environnement pour l’immobilier, Dunod, 2022.
2. Gaëlle Audrain-Demey, « 9. Le bruit », Droit de l’environnement pour l’immobilier, Dunod, 2022.
3. Centre national des ressources textuelles et lexicales, 2012, https://cnrtl.fr/definition/g%C3%AAne