
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local
La question du travail est au cœur du développement de la région Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, comme l’a démontré la présence de la présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) à Rimouski le jeudi 7 septembre pour aborder les défis avec les militants.
Une production écosocialiste ?
Le travail réalisé dans des régions rurales ne peut faire l’impasse sur la question de la durabilité et l’économie des ressources, en raison de leur lien avec le partage qui permettent une égalisation des conditions de vie, qui sont souvent moins favorables que dans les milieux citadins.
De ce fait, la question du travail vient directement questionner celle de nos besoins, principalement de quelles manières peut-on les satisfaire autrement que par la marchandise ?
Cette question peut se décliner en d’autres questions plus précises : « quels sont les besoins prioritaires et les moyens les plus économes en ressources pour les satisfaire ? Quels sont nos réels besoins de transports et comment les satisfaire autrement que par l’avion ou l’automobile individuelle ? Quels sont nos besoins alimentaires et comment les satisfaire autrement que par l’alimentation industrielle carnée et mondialisée ? » (Marty, 2023, p. 89).
Il ne s’agit pas ici de vouloir verdir nos modes de vie et de production, mais plutôt de réinterroger la finalité de tous nos travails, pour les réduire à ce qu’il nous faut vraiment pour vivre mieux et en cohérence avec les défis actuels.
Les premiers pas vers la politique écologique
Pour arriver à une production qui répond véritablement aux besoins, et non qui en créée, il suffit de modérer, réduire ses efforts. Et cette simple réduction va nous permettre de revenir à un travail qui respecte nos cycles humains, alors que « le capitalisme impose […] l’illimitation des efforts et des désirs » (Marty, 2023, p. 90).
La réduction offrira la possibilité de redonner à la population les moyens de réfléchir et d’agir selon ses besoins réels, comme ce que la pandémie a permis de faire, créant de multiples remises en question quant au temps de travail, et autres. C’est dans cette condition de réduction qu’il est possible de penser ensemble les conditions d’une sobriété collective.
Il faut préciser que le travail est une activité collective qui permet la satisfaction de besoins sociaux, grâce à l’utilisation de ressources collectives. À l’origine, le travail n’est absolument pas une affaire d’individualité. C’est pour cette raison que la collectivité peut décider des ressources et des efforts de productions nécessaires, et non les dirigeant.es d’entreprises.
Mieux vivre en ayant moins, l’inverse de la consommation
Actuellement, nous sommes habitués à travailler toujours plus, ce qui entraine un stress permanent. Pour faire simple, le travail temps plein nous presse, sans discontinuité. Dans cette spirale, la consommation devient l’unique moyen de satisfaire nos besoins et désirs, car rapidement accessibles. Ce mode de consommation nous suit même dans les temps de pauses, ou les vacances, d’où l’absence de discontinuité (Marty, 2023, p. 91).
En choisissant un travail qui répond à nos besoins véritables, le productivisme stressant sera évité, tout comme une production peu qualitative causée par des délais de production rapides.
Une telle réduction aura un effet écologique, mais aussi des effets sociaux et politiques. Chaque personne pourra exister en dehors de sa fonction économique de producteur-consommateur. La possibilité de s’investir dans les activités de son choix sera à la portée de toustes.
Et c’est dans ce temps libre que la population pourra d’investir aussi dans la politique de son espace de vie. Ce qui réduira la pertinence de la démocratie représentative et technocrate.
Comment y parvenir ?
Comment réussir à réaliser ce cadre politique alors que nous baignons dans la culture capitaliste qui privilégie les intérêts de court terme ? (Marty, 2023, p. 91).
Tout simplement par la défense de l’autogestion du temps de vie. L’autogestion du temps est le meilleur outil pour casser les rythmes imposés par le productivisme. C’est une révolution existentielle qui va ouvrir à une révolution écologique et sociale.
Un nouveau rapport au temps entraine un désir durable de transformation, grâce à la possibilité d’imaginer et de désirer une nouvelle société centrée sur la décroissance écologique et le bien-vivre.
Le temps plein, une invention contre l’ouvrier.ère
Être à temps peut apparaitre comme allant de soi. Or, ce rythme de travail est apparu au cours du 19e siècle à la demande des propriétaires d’entreprise, et non à la demande des ouvrier.ères. La pratique antérieure se présentait plutôt en un travail intermittent, discontinu et composé d’une pluriactivité. Le temps de travail était alors flexible, répondant au besoin de revenu du moment et selon les périodes de l’année qui déterminent les activités de production accessible (Marty, 2023, p. 92).
Dans cette pratique du temps de travail, la production et le marché ne peuvent pas réaliser leur ambition, la pratique du travail intermittent et choisi entraine un refus d’une discipline d’horaires, car incohérente avec les besoins des ouvrier.ères.
L’imposition du temps plein est alors apparue graduellement par le refus des entreprises à engager les ouvrier.ères qui souhaitaient travailler sporadiquement. Les politiques de lutte contre le chômage ont participé à amplifier ce mouvement (Marty, 2023, p. 92).
La conséquence est que les ouvrier.ères ont été dépossédées « de l’usage autonome de leur temps de travail, pour être soumis aux cadences de la production et de la consommation industrielles » (Marty, 2023, p. 92).
La consommation de bien a pu alors augmenter lorsque le temps consacré au travail a subi une augmentation. La raison est que la consommation permet de compenser la frustration ou se féliciter des efforts qu’occasionne le temps plein. Et cette tendance était déjà présente à la fin du 19e siècle, pour clairement se retrouver aujourd’hui.
Retrouver une autogestion de son temps de travail
Pour lutter contre le capitalisme, afin de retrouver un avenir climatique souhaitable, l’autogestion de son temps de travail devient une arme nécessaire et très efficace, qui demande peu d’effort.
Cette autogestion traduit simplement la possibilité de décider de ses « propres rythmes et emplois du temps de travail, à court terme mais aussi à l’échelle d’une vie » (Marty, 2023, p. 92).
Bien entendu, une refonte de la protection sociale basée sur de l’emploi à vie et à temps plein devra suivre cette nouvelle tendance à autogéré son temps de travail. Car dans un monde toujours plus chaud, un travail temps plein est encore moins souhaitable.
« Réduire notre recours au travail vivant par une production sobre semble d’autant plus nécessaire que nous ne savons pas, empiriquement, comment nous travaillerons, physiquement, d’ici vingt ou cinquante ans, dans un climat à + 2 ou + 4 degrés ». (Marty, 2023, p. 95).
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Marty, Céline. « Moins, mais mieux. Réinventer le travail avec André Gorz », Esprit, no. 9, 2023, pp. 85-95.