Actualité

Commémorer ET s’humilier

Par Jean-Francois Vallée le 2023/08
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Commémorer ET s’humilier

Par Jean-Francois Vallée le 2023/08

Comment commémorer l’histoire d’une ville tout en s’humiliant? En imitant Rivière-du-Loup, tout simplement.

Dans un fracas de tambours et de cornemuses, la Ville célèbre en grande pompe le nouveau tartan spécialement brodé par son Cercle des fermières à l’occasion de son 350e anniversaire. Un tartan? Oui, ce tissé typique ornant les kilts de chaque région d’Écosse. Mais voici le pire : l’apothéose des célébrités aura lieu le 1er juillet, quand le régiment du 78 th Fraser Highlanders viendra parader dans les rues de la ville…

Débordant d’enthousiasme, élus et organisateurs souhaitent ainsi souligner la présence des Fraser, ces seigneurs écossais qui ont fondé Fraserville, l’ancêtre de Rivière-du-Loup. Mais quelles gentillesses les Écossais en général et les Fraser en particulier ont-ils commises pour mériter de tels honneurs?

En réalité, c’est en zélés colonisateurs alliés aux Anglais que les Écossais, anglophones et protestants, ont participé à la conquête et à l’annexion de la Nouvelle-France à l’Empire britannique. Les soldats du 78e régiment des Fraser Highlanders en particulier, créé dans le but de mater Acadiens et Canadiens français, ont fait couler le sang partout sur leur passage. Ils ont par la suite accaparé le territoire, ses ressources, ses richesses, assurant prestige et prospérité à leur descendance.

La vie de Malcolm Fraser, sixième seigneur de Rivière-du-Loup, l’illustre à merveille. Cet Écossais joint le 78e régiment d’infanterie en 1757. Loin d’être un simple figurant, « il participe d’abord activement au siège de Louisbourg en 1757 puis, en juillet 1759, à la bataille de Beauport ». En août, son régiment se charge de brûler la côte de Beaupré, et commet le massacre de Saint-Joachim où le curé et sept paroissiens furent tués. Puis, les soldats brûlent l’église, les maisons et les champs.

Quand nos ancêtres apparaissent dans son journal personnel, c’est en ces termes peu amicaux : « enemy killed ». À sa défense, quand le « barbare capitaine Montgomery » fait abattre au tomahawk, puis scalper deux prisonniers, Malcolm déplore cette « boucherie inhumaine et cruelle ».

Malcolm se distingue par la suite aux batailles des plaines d’Abraham (1759), de Sainte-Foy et de Montréal (1760).

En 1763, son régiment démantelé, ce même Malcolm Fraser choisit de demeurer en terre conquise. Bel adon : la défaite française força le seigneur Danseville à retourner en France et, en 1763, sa seigneurie de la rivière du Loup passa des mains du gouverneur écossais Murray à notre héros de guerre.

Gommant de tels faits, la Ville célébrera un régiment meurtrier, incendiaire, et destructeur quand il paradera en fanfaronnant pour la fête de ce Canada qui s’est construit sur les lambeaux de la Nouvelle-France en assurant la prédominance de l’élément britannique, Écosse incluse.

Comme l’explique la gestionnaire aux programmes culturels et patrimoniaux de Rivière-du-Loup : « C’est important de savoir d’où on vient pour avancer dans notre vie. Je pense que les Louperivois d’aujourd’hui doivent connaître leur histoire. Certains la connaissent bien, d’autres moins. »

100 % d’accord. Il y a, en effet, une limite à ignorer sa propre histoire.

Oui à un fléché patriote louperivois

S’il reste un tant soit peu de fierté francophone, québécoise et nationale aux organisateurs, ils auraient pu faire amende honorable. D’abord, demander au Cercle des fermières de créer un fléché patriote louperivois… Ainsi, au lieu de reléguer au second rang l’identité québécoise en la symbolisant par un mince fil d’un tartan qui la noie de couleurs, ce serait l’identité écossaise qui ne tiendrait qu’à un fil du fléché de la ceinture. N’oublions pas que les Écossais de 1837, réunis dès 1836 sous la bannière du « Doric Club » par Adam Thom, combattaient farouchement les « Fils de la liberté », nos ancêtres patriotes. Sa biographie raconte que cet « ennemi irréconciliable des Canadiens français », ce « fanatique haineux » prônait ouvertement l’assimilation des « Canayens » et des Métis.

Ensuite, le 14 juillet, on aurait pu organiser une grande célébration patriotique afin de raviver notre fierté française négligée : un défilé militaire français, des groupes de musique venus de l’Hexagone ou encore un banquet digne d’Obélix…

Si j’applaudis les Écossais d’aujourd’hui dans leur combat pour l’indépendance et que je reconnais qu’ils se sont vite francisés en épousant des femmes d’ici, cela ne justifie pas qu’on encense un régiment qui a contribué à priver nos ancêtres de la leur. Et qui a leur sang sur les mains.

Survaloriser l’autre au détriment de soi, c’est précisément ça, être aliéné et colonisé.

Le 1er juillet, quand Rivière-du-Loup fêtera ces sombres « héros » en pétaradant, il faudra rappeler au 78e régiment des Fraser Highlanders que notre fierté a survécu à leurs exactions passées.

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