
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local
Pour l’occasion du mois de la transition socio-écologique, une thématique importante est à aborder, celle de la sobriété. Ce concept est l’un des piliers fondamentaux pour permettre la réalisation de la transition socio-écologique, car il prend en compte les situations et la justice sociale. C’est un outil a porté de toutes et tous, adaptable selon sa situation. Plus nos moyens financiers sont élevés, plus la de marge de manœuvre pour adopter une sobriété est élevée.
La sobriété est également un outil formidable pour une résilience et une autonomie envers les différents contextes culturels et politiques qui ralentissent par un statu quo la transition.
Le contexte
Actuellement, les actions produites par les institutions sont trop peu efficaces pour atteindre le « net zéro » en 2050 et contenir le réchauffement dans la limite des 1,5°C, voire des 2°C (Reghezza-Zitt, 2022, p. 65). En effet, la trajectoire actuelle de nos de gaz à effet de serre (GES), ont certes connues une diminution avec la pandémie, mais tellement faible qu’elle se situe bien au-delà des objectifs de l’accord de Paris. Cette petite diminution fait que nos émissions ne font encore qu’augmenter. Or, pour ne pas dépasser 2°C, il faudrait que les émissions mondiales diminuent immédiatement.
Pour parvenir à ces objectifs totalement réalisables, il est nécessaire de réduire nos consommations de produits fossiles. L’usage du charbon doit être entièrement abandonné, l’utilisation du pétrole doit être diminuée de 60%, et le gaz de 70%, cela d’ici 2050 (Reghezza-Zitt, 2022, p. 66).
La sobriété
L’un des leviers essentiels pour parvenir à cette réduction globale réside dans la demande liée à la consommation des biens et des services émetteurs de GES. Lorsqu’une faible demande a lieu, les modèles du GIEC mettent en évidence une baisse d’émissions globale de de 40 à 70 % en 2050. Et cette réduction ne touche pas le bien-être humain ou l’atteinte d’un niveau de vie décent (Reghezza-Zitt, 2022, p. 66).
L’idée générale de la sobriété se trouve résumée dans la définition que nous délivre le GIEC dans le 3e volet de son 6e rapport d’évaluation : « Les politiques de sobriété se composent d’un ensemble de mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matériaux, sols et eau tout en garantissant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires ».
En résumé, la sobriété consiste tout simplement à moins consommer grâce à l’adoption de nouveaux comportements. C’est un véritable acte de résilience et de révolution face à un environnement qui nous pousse sans cesse à toujours plus consommer. La sobriété est certes une action individuelle, mais elle s’inscrit pleinement dans une action collective, qui dépasse le politique et l’internationale par le refus de l’injonction à consommer. La sobriété est alors un « instrument de résilience du collectif » (Reghezza-Zitt, 2022, p. 66).
Elle permet donc de redonner à l’individu du pouvoir, lui redonnant une capacité à faire face, grâce au choix de ne pas suivre les injonctions des politiques. En d’autres termes, l’individu par son choix délibéré, retrouve un libre arbitre, une capacité d’agir, influencer et transformer.
Faire le choix d’une sobriété voulu, c’est aller contre l’ordre établi, et une remise en cause du système capitaliste et des inégalités qui émergent par les choix de ce système.
Cette sobriété est une sobriété de la résilience.
La sobriété du néo-capitalisme, une injonction morale égalitaire injuste
Il existe une différence entre une sobriété néo-capitaliste et celle que nous décrivons précédemment. La sobriété néo-capitaliste promeut une sobriété basée sur la négociation entres l’individu avec les pouvoirs dominants pour augmenter un accès aux ressources. De ce fait, il n’y a pas de remise en question du système qui épuise les ressources ni des inégalités sociales liées à la répartition des richesses. C’est dans ce contexte de sobriété qu’on va entendre la ritournelle du petit geste imposé à tous et toutes indépendamment de sa situation. L’individu est alors responsable de la résilience collective, car le système n’est pas remis en question (Reghezza-Zitt, 2022, p. 67).
Amalgamer le petit geste à la sobriété par un acte civique, c’est en faire une injonction morale. Une telle injonction fait fi des répartitions inégales des émissions et des leviers structurels de transition qui portent normalement une grande charge. Elle invisibilise aussi les situations de précarités qui font peser sur ces personnes une sobriété subie, mais également concernées par l’injonction morale du petit geste.
Le défaut majeur de l’approche néo-capitaliste de la sobriété réside dans sa non-considération des inégalités. Alors que ces inégalités au sein d’un pays sont très grandes. Selon le GIEC, plus nos revenus sont élevés, plus nos émissions le sont également. Dans le monde, près de la moitié de l’ensemble des émissions est due à 1/10e de la population mondiale (Reghezza-Zitt, 2022, p. 68).
À notre échelle, cela revient à dire que les 50 % des personnes les plus modestes devraient réduire leur empreinte carbone de 4 %, alors que les 10 % les plus riches devraient réduire leur émission de 81 %. Ce qui permet de mettre en évidence que les hauts revenus, en tant qu’investisseurs, consommateurs, influenceurs ou professionnels, ont un potentiel de réduction bien plus fort que les revenus modestes, car ils émettent beaucoup plus.
En résumé « l’injonction à la sobriété néo-capitaliste correspond au transfert vers les individus des coûts de l’inaction climatique et des choix sociotechniques passés, sans tenir compte de l’équité dans la répartition des efforts, et donc du caractère juste de la transition » (Reghezza-Zitt, 2022, p. 68).
Considérer la capabilité pour rendre la sobriété juste
Ce que les inégalités mettent également en avant, c’est la capacité, les ressources internes comme externe et les opportunités des individus pour amorcer une sobriété. L’ensemble de ces moyens et opportunités pour changer le réel sont appelés « les capabilités ».
La capabilité mesure la différence entre ce que l’individu souhaite réaliser et ses possibilités réelles de les réaliser. En d’autres termes, elle réfère surtout les capacités à convertir ses compétences et ressources en liberté de choisir et de faire. « C’est, pour le dire de manière triviale, sa capacité à être capable » (Reghezza-Zitt, 2022, p. 68). C’est alors tout un ensemble de facteurs interne à l’individu et environnemental qui lui permet de réaliser librement ses choix. Le degré de liberté n’est pas le même pour déterminer la vie souhaitée.
En lien avec la sobriété, la réaliser revient à réunir des facteurs internes et externes propices. « La différence entre précarité, réduction forcée de la consommation et « faible demande » librement consentie correspond à d’inégales capabilités » (Reghezza-Zitt, 2022, p. 69). C’est pour cette raison qu’identifier les capabilités qui permettent de réaliser une sobriété désirable et librement consentie sont primordiales.
Conclusion
Sortir des énergies fossiles et réduire ses GES ne peut se faire qu’en augmentant les capabilités des individus, et donc leur permettre de convertir le besoin de réduction de la consommation en sobriété désirable et effective. C’est pourquoi il faut que le discours de la sobriété de la résilience remplace cette de l’injonction morale qui associe l’écologie avec la punition.
« La baisse de la consommation individuelle doit être soutenue par des transformations structurelles dans tous les secteurs émetteurs » (Reghezza-Zitt, 2022, p. 69).
Source :
Magali Reghezza-Zitt, « La sobriété au temps de l’écologie de guerre : comportements individuels et dimensions collectives de la transition », GREEN, Éditions Groupe d’études géopolitiques, 2022/1 (N° 2), pages 65 à 71.