
Les métiers de l’agriculture se caractérisent par une invisibilisation des femmes, de leur participation active, de leur expérience et de leur force de travail. La division des tâches dans ce domaine demeure très genrée.
Malgré tout, le nombre de femmes en agriculture a augmenté, dont avec elles de nouvelles pratiques, comme la vente en circuits courts, la transformation à la ferme, la multifonctionnalité de l’agriculture, la durabilité écologique, le « care », etc. Ces pratiques présentent des solutions pour créer une agriculture soucieuse de l’écologie et durable.
Sous ces considérations, l’autrice Julie Francoeur propose de montrer, dans son ouvrage Sortir du rang. La place des femmes en agriculture, comment les institutions agricoles contribuent à l’invisibilisation du travail des femmes par une naturalisation de leurs compétences, tout en promouvant une agriculture néfaste pour l’environnement.
En fait, l’agriculture s’est surtout formée autour de la famille patriarcale : « les hommes effectuaient “ des travaux d’hommes ” (généralement ceux des champs et des bâtiments) et les femmes, “ des travaux de femmes ” (accomplis plus souvent dans la maison et aux abords) ». Le travail des femmes, dit d’épouses, ne relève d’aucune reconnaissance officielle ou de contrepartie alors qu’il contribue au maintien de la ferme. De ce fait, les tâches agricoles considérées comme physiques, donc masculines, font percevoir les agricultrices comme incomplètes sans homme. Ces différences genrées engendrent une hiérarchie.

Écologie et féminisme : un renouveau possible
Le système agricole productiviste actuel n’est mû par aucun respect envers la nature. Par exemple, des forêts sont rasées pour cultiver du maïs, qui sera alimenté par du lisier, grande source de contamination des eaux et d’épuisement des sols.
Ce manque de respect traduit l’absence de « soins », domaine d’ordinaire attribué aux femmes. C’est en partie pour cette raison que l’agriculture productiviste est fondée sur une masculinité qui souhaite dominer la nature. Selon Francoeur, toutes les études convergent : « les femmes expriment une plus grande sensibilité pour la nature que les hommes, et les agricultrices se préoccupent davantage de l’écologie que leurs homologues masculins ».
Changer de mode d’agriculture serait vécu par les agriculteurs comme une remise en cause « de leur manière d’affirmer leur identité de genre ». La question du genre est alors la dernière clé pour comprendre pourquoi le tournant vers une agriculture durable et écologique a tant de mal à se produire.
Depuis quelques années, une masculinité hybride provenant des nouveaux venus dans le domaine agricole tend à s’exprimer en faisant une place à la coopération, au fait de prendre soin et à la division du travail non genrée. Toutefois, selon Francoeur, il faut demeurer vigilant , car il est facile de retomber dans les travers genrés.
La nouvelle vision de l’agriculture, qui donne une place de choix à une agriculture pratiquée par les femmes, devra investir sa mission fondamentale : celle de nourrir la population, mais aussi de protéger et favoriser la biodiversité en préservant les ressources naturelles. Cette forme d’agriculture devrait viser une souveraineté alimentaire, ce qui valorisera une agriculture de proximité et la création de liens sociaux de qualité avec une communauté d’appartenance. En résumé, « l’agriculture est peut-être moins une affaire de contrôle, de domination, que de care ».
Conclusion
L’agriculture pratiquée au Québec entretient des stéréotypes de genre, en continuant d’attribuer au travail des femmes un statut inférieur. Une pratique comme l’héritage de père en fils ou l’image qu’on se fait de ce qu’est un agriculteur sont autant de paramètres culturels qui limitent la place des femmes et, par la même occasion, font obstacle à l’arrivée d’une agriculture durable et souhaitable. « Les motivations [des femmes], leurs expériences, leurs points de vue (leurs points de vie, aussi) sont d’une importance capitale pour le développement de l’agriculture ».
Julie Francoeur, Sortir du rang. La place des femmes en agriculture, Remue-Ménage, 2023, 112 p.