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Une crise de la masculinité ?

Par Mathieu Perchat le 2023/04
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Une crise de la masculinité ?

Par Mathieu Perchat le 2023/04

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

Certaines formes de pensées contemporaines comprennent la masculinité comme étant en crise en réponse aux mouvements féministes actuels. Elle est provoquée par une société dominée par les femmes. En effet, voyant une partie de ses privilèges commencer à être grignotés, le patriarcat commencerait à déployer une certaine défense. Pour Francis Dupuis Derry, ce type de discours dénonciateur de la condition masculine a pour objectif de renforcer la certitude que l’homme souffre du seul fait qu’il est un homme. La crise de la masculinité dénonce cet ensemble de problèmes rencontré par l’homme.

Commençons par simplement savoir ce qu’est cette crise. La crise de la masculinité annonce une nouvelle tournure dans la société : la domination féminine. En conséquence, les hommes souffrent d’être des hommes, souffrance engendrée par les femmes en général et les féministes en particulier. Ils dénoncent un mal être masculin dans toutes les sphères de la vie (modèle, scolaire, séduction, psychologique …). En réponse à la crise, certains groupes féministes réagissent positivement et essayent de lutter contre la souffrance des hommes.

Cependant, le discours de la crise de la masculinité ne correspond pas à la réalité empirique et sociopolitique, elle relève bien plus d’une rhétorique antiféministe. Les hommes dans les faits restent privilégiés par rapport aux femmes. Le discours de la crise est en réalité une défense face au progrès social réalisé par les femmes et une volonté de réaffirmer l’importance de la hiérarchie entre les sexes pour maintenir les privilèges masculins.

         Histoire

                De semblables crises ont eu lieu tout au long de l’histoire dans la majorité des régions du globe. Ce qui amène un autre élément pour douter de sa véracité, car ces crises apparaissaient de toute évidence quand les femmes commençaient à lutter contre le joug du patriarcat.

Un regard sur l’histoire permet de constater que des phénomènes similaires à la crise de la masculinité d’aujourd’hui sont récurrents (Renaissance en France et en Angleterre, au XVIIe siècle dans la France de la Révolution, au début du XIX siècle en Allemagne, les fascistes italiens et allemands s’offusquent de la féminisation de leur nation, en URSS, au Québec durant les années 70 et 80, etc.). Ces récurrences sont également culturelles. C’est pour cela que l’historienne Judith A. Allen (2002 : 191) se demande si « les hommes ne sont pas interminablement en crise » ?

Ainsi, la pertinence de désigner des évènements historiques comme crise de la masculinité est contestée. De plus, cela prête à penser une uniformité universelle dans l’identité masculine, peu importe la période historique ou la culture.

         Dans la culture

Les crises de la masculinité dans différentes périodes historiques proviennent de fictions et non de témoignages. Études encore aujourd’hui réalisées sur des fictions (romans, cinéma) pour déterminer la condition de la masculinité. Aujourd’hui encore, définir un évènement comme crise de la masculinité se fait à partir d’œuvres fictionnelles (films, romans…). Il est plus juste alors de parler de discours de la crise plutôt qu’une crise réelle. Un tel discours est surtout présent dans les médias et intellectuels.

Sous ces discours fictionnels se joue la parole de la classe dominante qui a pour but de mobiliser des ressources afin de discréditer les forces contestataires. Les ressources mobilisées dans le but de réaffirmer l’identité masculine à permis l’émergence de nouveaux sports (scout, athlétisme, football), la culture propose des figures masculines fortes comme le cow-boy.

Mais en plus de mobiliser les ressources pour affirmer la masculinité dans la sphère civile, elles sont mobilisées également dans la sphère internationale comme l’invasion de Cuba par les USA, ou encore une course à l’armement. L’investissement dans le militaire est l’expression d’une masculinité forte, se démarquant d’une féminité pacifique et donc considérée comme faible.

Malgré le discours de la crise, la réalité empirique démontre une majorité d’hommes dans les positions décisionnaires et de pouvoir. Cela veut dire, selon Christine Bard (1999), que le pouvoir est « surmasculinisé ». Dans les faits, les hommes ont consciences de leur avantage vis-à-vis des femmes, et qu’il est plus simple d’être un homme. Ce constat réfute à lui seul le prétendu manque d’images masculines fortes dans la sphère sociale (politique, entreprise, économique) et culturelle.

En plus de cette sur représentation masculine, les rapports entre homme et femme restent à l’avantage du premier : les femmes restent les principales antagonistes des tâches ménagères ; les hommes bénéficient de meilleurs emplois avec un salaire plus conséquent ; le taux d’agression masculine est bien inférieur à celui des femmes.

         La défense patriarcale

L’avancée actuelle dans les droits des femmes engendre sans grande surprise un discours de la crise, dont la principale cause est le féminisme. Sa faute réside dans son exagération, devenant violente dans sa réception masculine, au point de se faire passer pour une dictature. La réaction est prévisible : réaffirmation de la hiérarchie entre les sexes et défense de la masculinité conventionnelle.

Afin de se défendre, quatre axes rhétoriques sont employés pour maintenir l’ordre patriarcal : l’usage de la religion pour maintenir la hiérarchie familiale pour une bonne vie de famille ; les femmes possèdent des vices que les hommes contrebalancent ; une obéissance au père, mari sous peine de punition adoptée en tant que mœurs ; un contrôle judiciaire de la liberté sexuelle des femmes.

Ainsi, la rhétorique de la crise permet d’accentuer la hiérarchie entre les sexes en désignant le mouvement émancipateur féminin comme cause. Mais également de mobiliser en toute légitimité les ressources politiques, juridiques, économiques, culturelles et militaires par et pour les hommes afin de leur permettre de réaffirmer leur masculinité (Dupuis-Déri, 2012, p. 130). C’est là une stratégie pour maintenir et défendre l’« ordre social patriarcal » (Lampron, 2008, p. 33).

Conséquence politique

Aujourd’hui, il est coutume de penser que les femmes sont arrivées presque à un niveau d’égalité avec les hommes ; c’est pour cela que l’idée d’une crise de la masculinité peut s’imposer.

Cette idée est accentuée par la croyance que le féminisme actuel est extrême et provoque cette crise, car sa contestation est violente pour l’homme.

La réaction masculiniste se fait passer pour légitime, car il ne fait que répondre à cette violence en réaffirmant sa masculinité grâce à l’affirmation de l’importance des différences inégalitaires entre les sexes.

Le discours de la crise permet 3 choses :

-Désignation du féminisme comme cause de la crise

-Affirmation de la valeur de l’identité masculine conventionnelle (autonomie, rationalité, compétitivité, agressivité, force physique, violence)

-Association du féminin aux valeurs inverses (douceur, passivité, pacifisme, entraide, émotivité, égalité).

Ainsi, la masculinité est incompatible avec l’égalité. La signification politique de la crise de la masculinité désigne un fait de résistance masculine face au progrès moral en faveur des femmes. Ainsi, le discours de la crise est un refus de l’égalité entre femme et homme et une volonté de réaffirmation de l’importance d’une hiérarchie traditionnelle.

La masculinité s’oppose donc à l’égalité, car elle permet de structurer, d’ordonner le monde et ainsi éviter le chaos. L’égalité devient synonyme de chaos. L’ordre hiérarchique perd de sa légitimité par l’avancée de l’égalité entre les sexes.

         Conclusion

La masculinité désigne un comportement produit envers les femmes et non un ressenti. Cela montre que la masculinité induit à un homme pour être considéré comme homme de se comportant comme dominant envers une femme. S’il ne le fait pas, il devient efféminé, même s’il est dans une relation d’égalité. C’est pourquoi Joel Charbit (2009) souligne que ce n’est pas la masculinité qui est en crise, mais la légitimation de la domination masculine. 

Donc, la masculinité est avant tout une position politique plus que psychologique qui lutte ouvertement contre le féminisme, et se positionne contre l’égalité entre les sexes. De plus, il n’existe pas en apparence de discours de crise de la féminité, or les femmes devraient ressentir un désarroi identique à ceux des hommes provoqués par ce bouleversement social.

Le discours de la crise permet à la fois de désigner le féminisme comme responsable de la crise, d’affirmer les valeurs patriarcales et de créer un miroir négatif homme-femme (rationalité contre sentiment). Avec ces constats, le discours de la crise de la masculinité est bien inquiétant. Car les hommes restent privilégiés par rapport aux femmes.

Malgré le discours de la crise, les hommes du quotidien ont conscience des avantages qu’ils bénéficient du seul fait d’être homme. Rosalind Gill (2010) a interrogé 140 hommes, il en est ressorti qu’aucun ne ressentait une crise de la masculinité ou une quelconque menace de leur identité masculine. Ainsi, le discours de la crise provient de la sphère intellectuelle plutôt que des hommes eux-mêmes.

Sources 

Francis Dupuis-Déri, La crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe tenace, Montréal, Remue-Ménage, 2018.

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