Actualité

Armagueddon

Par Claude Philippe-Nolin le 2023/04
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Armagueddon

Par Claude Philippe-Nolin le 2023/04

Bon, me revoilà devant mon écran à écrire pour le Mouton Noir. Il y a plus de 30 ans que je ne l’ai pas fait.

À 70 ans (bientôt), je replonge dans la tourmente. « Mouton noir un jour, mouton noir toujours » comme dirait ma conjointe.

C’est certain, je devrais être devant mon autre écran à visionner quelque chose sur Netflix ou à soigner mes vieux bobos.

On me reprochera probablement mes propos, on les condamnera peut-être même, mais certaines choses doivent être dites maintenant.

Je fais partie de cette génération des années 60, ces Baby-boomers qui voulaient changer le monde. Encore aujourd’hui, je reste persuader plus que jamais que c’est d’une nécessité vitale.

Dans les années 80 et 90, j’avais un jour sermonné mon frère, lui prédisant qu’un de ces jours, les gouvernements saisiraient peut-être ses REER et voteraient une loi imposant l’euthanasie obligatoire à 75 ans en raison de la crise mondiale qui ne manquerait pas de nous tomber dessus. J’essayais alors de le sensibiliser sur les méfaits de la mondialisation économique néolibérale, sur l’iniquité du contrat social, sur l’explosion démographique et des catastrophes climatiques qui s’annonçaient déjà. La tempête parfaite, diraient certains… Lui et sa conjointe étaient fonctionnaires, ils l’ont été toute leur vie, jouissant de la sécurité, des avantages et d’un plan de retraite dont tous rêvent mais n’ont pas droit. Il avait beau être de gauche, impliqué dans son syndicat et faire du bénévolat ici et là, j’étais furieux qu’il reste aveugle à certaines réalités socioéconomiques.

Je crois que la réalité a fini par le rejoindre. Quelques années plus tard, c’est lui qui m’a dit « qu’il faudrait réinventer la guillotine pour ces nouveaux aristocrates de la finance ».

J’ai milité toute ma vie pour un monde plus juste, contre le saccage de notre planète et pour une culture plus inclusive. En 2015, j’avais publié un essai intitulé « Le Legs » dans lequel j’avais colligé mes réflexions de vieux militant sur différents dossiers, dont la militance, la gauche, le néolibéralisme, l’urgence climatique, la laïcité, le revenu de base, l’art, la situation des Amérindiens, etc. Pour moi, tout cela était et reste interrelié.

Retraité et réfugié dans ma tanière en Outaouais, j’ai un peu perdu de vue toute la mouvance contestataire. Un souper de retrouvailles des bénévoles du Forum social mondial de Montréal 2016 m’a un peu remis ces idéaux en tête dernièrement.

De mon retour de Gaspé où mon fils demeure, ma conjointe et moi avons fait notre arrêt traditionnel à la Brûlerie d’ici en avril dernier. Le temps de faire un petit coucou à quelques amis, de constater les changements au centre-ville puis de faire un petit saut à la librairie où j’ai ramassé la dernière copie du Mouton Noir.

Sa lecture fut un choc pour moi.

En feuilletant rapidement mon journal, je tombe sur les articles présentant le Réseau libertaire Brume Noire puis sur la chronique Plumedanslaplaie de Martin Forgues. L’Espace Slam de Lysane Picker-Paquin suscite mon indignation contre nos institutions et le manifeste de La Soudée me replonge dans les luttes étudiantes auxquelles j’ai participé. Et je trouve plein d’autres billets tant sur des enjeux locaux qu’internationaux qui me font dire que la suite de nos luttes est entre de bonnes mains.

Un choc parce que j’ai pris soudainement conscience que mes pires craintes allaient devenir réalité. J’ai eu beau avoir crié sur tous les toits la menace qui pesait sur nos têtes, c’est comme si je m’étais reposé sur l’idée que les humains allaient empêcher cela d’advenir. Sans m’en apercevoir, j’avais moi aussi été dans la négation.

À une époque pas si lointaine, je gardais encore espoir qu’on puisse sauver notre civilisation de la catastrophe, j’imaginais même qu’on puisse le faire de façon non violente.

Le constat que j’en tire aujourd’hui est que j’étais encore trop naïf comme bien d’autres pour voir la vérité. Les intérêts des puissants et la lâche indifférence de ceux et celles qui se satisfont des miettes qu’on leur laisse mènent irrémédiablement notre monde à sa perte.

Qu’importe les avertissements des scientifiques, qu’importe le travail des innombrables mouvements citoyens, qu’importe toutes les terribles catastrophes liées au climat ou à la pollution que les médias relayent, ils restent sourds à la raison et, prêts à tout sacrifier pour jouir de leurs luxueux jouets, ils continuent à s’accaparer encore plus les richesses du monde sans se soucier de leurs responsabilités.

Dans les pages de mon journal, j’ai observé la croissance de l’anxiété des jeunes vis-à-vis l’avenir. Et ils ont raison d’avoir peur!

Je croyais que les actions auxquelles je m’étais associé allaient suffire à arrêter l’inéluctable. Je suis triste de leur léguer un monde dévasté où future rime avec catastrophes et calamités. Les jeunes devront bientôt faire face à des problèmes d’un niveau comme jamais l’humanité n’en a connu.

  • Les changements climatiques qui s’accélèrent dramatiquement et même s’emballent, provoquant des catastrophes qui alimentent davantage les conditions qui les provoquent.
  • L’insouciance de nos gouvernements devant les problèmes environnementaux qui tardent à légiférer ou qui simulent de s’en préoccuper.
  • Le négationnisme qui affecte les gens qui ont peur de la réalité.
  • Malgré les campagnes de sensibilisation à la décroissance et les appels à la vigilance environnementale, nous assistons à une augmentation constante de la consommation de la part des citoyens.
  • La monté de la droite teintée de formules populistes et de prises de position opportunistes qui ne visent qu’à s’accaparer du pouvoir à tout prix, qui mise sur la peur de ceux qui sont différents, transformant la xénophobie en racisme, la justice en vengeance, la solidarité en faiblesse.
  • La monté des factions religieuses radicales qui s’acharnent contre les femmes et les non-hétérosexuels, qui depuis toujours, ont transformé la charité en moyen de domination sur les peuples qu’ils prétendent aider et dont certaines semblent avoir des visées apocalyptiques.
  • L’explosion de la croissance démographique mondiale dans la plupart des pays en émergence qui risque de rendre la survie impossible pour l’ensemble de l’humanité. À chaque année, nous reculons la date à laquelle nous entamons le capital des ressources renouvelables de la planète. Nous consommons plus que ce que la planète peut produire.
  • La hausse des réfugiés candidats à l’immigration qui frappent à nos portes qui ont été obligés de quitter leur pays en raison des conditions économiques, climatiques, politiques ou de dangerosité (terrorisme, guerre et criminalité), situations dont souvent nous sommes souvent les responsables, nous, les Occidentaux.
  • La conduite immorale des grandes entreprises canadiennes et internationales qui détruisent et polluent l’environnement, qui s’approprient les ressources des pays où elles s’installent et intimident et terrorisent leurs populations avec la complicité de gouvernements impuissants et corrompus et celle d’organisations criminelles ou paramilitaires.

  • Le gaspillage de ressources et d’énergie pour fabriquer des objets et des appareils parfois inutiles et de piètre qualité ou qui sont programmés pour cesser de fonctionner prématurément et qui contribuent donc à la pollution et à l’accélération des changements climatiques.

« How dare you ? » demande Gretta Thumberg.

L’urgence de changer le monde est présent comme jamais il ne l’a été auparavant. Je crois que tout un chacun, nous devons passer aux actes.

Personnellement, je n’ai plus autant la capacité de lutter comme avant. Les affres de l’âge, la résistance au stress, la capacité de rester éveillé et alerte, tout cela limite mon action et je ne parlerai même pas des innombrables compromissions auxquelles on s’expose avec le temps pour vivre en société, avoir des enfants, avoir un toit au-dessus de la tête, du pain sur la table et un peu de luxe.

Nous avons peur de perdre le peu qu’on nous a laissé.

Je me vois donc contraint de passer le flambeau à ces jeunes générations alors que d’importantes informations reçues récemment militent en faveur d’une intensification immédiate des actions.

Je me sens honteux d’avoir à leur demander cela… Égoïstement, je pense à mes enfants, à mes petits-enfants; je veux pourvoir espérer un avenir pour eux.

Mais penser à eux m’oblige à penser à tous les autres. Il n’est pas question de les sauver et pas les autres comme pensent le faire ces richards qui se construisent des abris pour eux et leurs proches. Pas de refuge pour milliardaires ! Pas de Sagard !

Je m’adresse donc aux jeunes générations, celles qui ont tout intérêt à sauver ce monde, d’assurer la pérennité de l’humanité.

Il leur faudra le courage d’oser changer les règles du jeu, ce que nous, les générations passées n’avons pas osé faire. Il leur faudra investir toutes les sphères d’influences, d’être de toutes les luttes. Il leur faudra penser globalement et agir localement comme les luttes contre le néolibéralisme nous ont appris.

Il faut croire que nous, les vieilles générations, avons oublié de penser globalement par le passé. Il vous faudra peut-être nous malmener. Nous avons toujours su en notre for intérieur qu’il y aurait un jour un prix à payer, que la décroissance économique et la simplicité volontaire ne suffiraient peut-être pas à sauver notre monde.

Non, les gouvernements n’oseront pas faire ce qu’il faut avant qu’il ne soit trop tard, les prochaines élections restent toujours l’horizon de leurs pensées; non, les grandes entreprises ne cesseront pas d’eux-mêmes de détruire la planète, concurrence oblige; non, les individus ne cesseront pas de consommer ce qu’on leur offre tant et aussi longtemps qu’on les fabriquera, tant qu’on leur vendra.

Je leur dis ayez l’arrogance de croire que vous avez raison.

Suis-je lucide ou sénile ? Je crois que je suis en train de vous dire que l’action directe d’envergure contre ceux et celles qui mènent notre monde à sa perte est la seule façon de faire dérailler ce train qui fonce droit sur la falaise.

Nous sommes en guerre, ce sera l’Armagueddon…

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