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La Louée de Château-Landon – d’autres mots pour l’amour –

Par Jean-Jacques M’µ le 2023/01
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La Louée de Château-Landon – d’autres mots pour l’amour –

Par Jean-Jacques M’µ le 2023/01

Montant l’escalier du souterrain d’accès au train, deux couples avec moi. Devant, le vieil homme peine à gravir les degrés, sa valise visiblement très lourde. Derrière, l’épouse se cramponne à la rambarde d’une main, l’autre appuyée sur sa canne.
Elle lui lance : “Tu peux tenir la valise à deux mains si tu veux…”
Il lui répond en plein effort : “Occupe-toi de toi”…

La jeune fille derrière moi murmure à son compagnon : “Ho ! Comment il parle à sa femme, lui ?”
Et le jeune de lui lancer : “Elle l’aide pas en pensant à sa place”.

Quand j’ai reçu ce texto, je l’ai aussitôt transféré à Mattys. Sur l’heure, l’anecdote amorçait l’atelier. Chez les gens de l’hospice – difficile ce concept d’Ehpad, la bienveillance a bon dos – l’histoire fonctionnait en parabole de tous les couples institués, hétéros, homos, dégenrés. Pour elles et eux, un phénomène universel. Le matin suivant, au lycée, ces prémices ont permis aux jeunes de raconter que, quand il y a entrave, la personne la moins active se croit obligée de participer – au moins en paroles – à l’effort que fournit l’autre, qui agit. On sent là le vécu, pas vrai ? Une génération bousculée de toutes parts entre injonctions et charges mentales. Ensuite, une fois rassemblés pour le retour des textes, jeunes et adultes ont convenu du problème de communication : même venant de l’être aimé, la tolérance descend facilement vers zéro quand on se sent dicter sa conduite.

« Il faut un autre nom pour l’amour », nous étions d’accord.

Les groupes se sont alors ralliés à l’idée émise par notre doyenne (Gaby – mais est-il un doyen ? nous n’avons jamais demandé de précisions ; on constatait – rares crins blancs hérissés sur le caboulot, sans doute résultat d’une chimie médicale ; voix grave, éraillée, et rauque ; robe de chambre par-dessus deux jambes entr’aperçues çà et là, blanchâtres et nues, assez peu velues ; pantoufles de moyenne pointure). Respect. Gaby nous a énoncé cet impératif paradoxe qui veut que dans tout couple s’applique systématiquement la poussée d’Archimède. En toutes circonstances, quelle que soit l’espèce d’amour que se vouent les protagonistes, volontiers ou non, n’importe qui des deux voulant alléger la charge de l’autre se trouve inévitablement exercer une pression inopportune encombrant l’alter ego, quand bien même il s’agirait pourtant d’aider l’autre de bonne foi.

Une fois les prolégomènes de Gaby passés, notre comité a proposé aux deux groupes d’âge de dévider le chapelet d’autres mots qui viennent à l’esprit ou en bouche au moment d’avoir à dire spontanément ce qu’on aime et comment on aime.

Partant, le besoin s’est précisé de les plonger à leur tour dans l’espace d’un siècle auparavant. Surtout parce que, même stéréotypées, les expressions d’amour y sont plurielles et davantage démonstratives que de nos jours ; il nous suffisait de nous souvenir de Laurel geignant, incapable de décider qui des deux il aime le plus – son ami Hardy ou bien la tarte à la crème ?

Séance suivante, donc : écoute de disques et projection de diapos, chaque contribution invitée à présenter une chanson et une reproduction de plus de cent ans. Surprise ! Par coïncidence – ou l’air du temps ? –, au milieu de chants et d’une iconographie passablement débonnaires, deux membres, de l’Ehpad et du lycée, ont exhibé des toiles sur le thème de la foire aux servant(e)s : Charles-François Marchal, Léon Delachaux… Ainsi avons-nous appris que, jusqu’à peu, les maisonnées pauvres de nos villes et de nos campagnes apprêtaient leurs enfants pour les faire remarquer par les grandes maisons possédantes, de sortie, qui les visitaient et qui les choisissaient. Scellant pareils marchés : des contrats d’employés de maison.

À partir de cette trouvaille, il y en a eu pour écrire :

« Louer sa propre force de travail est un double objet d’amour. Amour de puissance chez le bourgeois. Amour du gain chez la tutelle. ».

Ailleurs : « Sans les riches, comment je vivrais ? »

« Voilà pourquoi votre amour est muette. Et comment maîtres et familles asservissent leurs sociétés. »

Ma grand-mère disait : « Ce ne sont pas des anges qui vous ont faits »

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