
PLURIELLES : CHRONIQUES FÉMINISTES
Plurielles, c’est un territoire qui laisse place aux savoirs féministes, ceux de l’intime comme du social, du politique comme du poétique. Nous y dévoilons sans honte ni crainte ces histoires qui traversent nos corps, nos rêves et nos intuitions. Tout part de là.
J’ai l’allure d’un déluge
Chaud
Insatiable
Puissant
Je suis une révolution
***
« Si je ne peux pas danser dans votre révolution, je n’y viens pas » – c’est à partir de cette affirmation d’Emma Goldman que nous écrivons. Nos mots dansant au rythme d’un anarcha-féminisme qui se déploie et qui se réinvente depuis les marges pour nous révéler de nouvelles vérités.
Nous n’avons pas voté à la dernière élection. Nous n’acceptons pas les règles arbitraires de ce jeu politique auquel les citoyen·ne·s ont l’illusion de participer. Nous ne supportons plus ces dirigeant·e·s – ces élu·e·s de tous les partis qui nous balancent au visage les pouvoirs magiques du droit de vote et qui nous assènent de ce devoir moral à nous y soumettre. À les entendre, le droit de vote serait la promesse d’une affirmation concrète et sécurisante de nos choix, mais aussi l’exercice ultime de notre pouvoir de citoyen.ne. Pour celles et ceux que Chomsky appelle le « troupeau dérouté », que signifie cette démocratie au teint anémique ?
Il est vrai qu’en son temps et en son époque, le droit de vote a permis une nouvelle ère d’émancipation pour nombre de personnes, notamment pour les femmes. Elles allaient être les égales des hommes en intégrant enfin ce monde politique qui leur permettrait de devenir des maillons actifs de la démocratie, en participant directement à la gestion de la société. Néanmoins, et il est impératif de le soulever, ce ne sont malheureusement pas toutes les femmes qui ont obtenu ce droit – et puis même en le possédant légalement, l’utiliser n’est pas toujours possible et accessible – et c’est là l’un des fonds du problème qui (re)questionne entièrement la notion de représentativité au cœur de la démocratie. Alors, quand nous disons que nous dansons avec Emma G., voilà contre quoi nous nous dressons, contre quoi nous résistons et qui explique, d’un même souffle, pourquoi nous ne votons pas. Tant et aussi longtemps que le système en place sera fait ainsi, voter ne servira à rien, du moins à rien pour plusieurs, car il ne sera qu’un pouvoir illusoire et momentané pour la majorité des citoyen·ne·s et restera pour la classe dominante une simple formalité qui légitime et autorise sa toute-puissance.
Nous croyons qu’il est nécessaire de nous demander à qui profite cette démocratie institutionnalisée par des règles et des normes insensibles. Est-ce que nos élu·e·s sont véritablement à l’image de la population, soit de réels repères et de viables représentant·e·s pour nous tous·tes ? Nous le rappelons – pour nous et peut-être aussi pour vous – la démocratie se définit par un pouvoir qui doit être exercé par le peuple, par l’ensemble aussi hétéroclite soit-il des citoyen·ne·s. Seulement, les failles du système québécois sont si profondes et multiples, que le juste exercice du pouvoir individuel reste inaccessible pour plusieurs, donc le sens commun et global créé par une réelle union de voix est impossible. En effet, dans un Québec qui bat des records en matière d’immigration et en sachant que la population migrante (non-citoyenne et donc non-votante) représente en 2022 près de 26 % des habitant·e·s au Canada, comment osons-nous parler de système politique démocratique et représentatif ?
En ce qui concerne spécifiquement le Québec, comment Legault – et le reste de ses disciples autant déconnecté·e·s de la crise migratoire qu’incapables de tout jugement critique et empathique –peuvent-ils réellement soutenir, mais surtout comprendre un tant soit peu, les réalités et les vécus des personnes migrantes ? Comment Legault peut-il oser affirmer qu’il soutient la population québécoise alors qu’il tisse des liens aussi dangereux que mensongers entre l’immigration, la violence, l’extrémisme et les valeurs de notre province? Nous parlons ici de l’immigration, mais il en va de même pour les réalités reliées à la pauvreté, à la crise du logement et celles des personnes qui vivent la peur au ventre de subir des violences. Que peut-il comprendre à ces inégalités et à ces souffrances assis sur son siège à l’Assemblée nationale, le front suintant de pouvoir et de privilèges tant son corps en déborde ? Par sa position dans le monde, avec ses allures de « patriarche » dominant et autoritaire, Legault ne peut ni voir ni saisir les réalités multiples d’une majeure partie des citoyen·ne·s. Ses œillères le privent d’une subjectivité critique et des connaissances nécessaires aux fondements d’une réelle démocratie, et pourtant, son pouvoir est titanesque et le système démocratique actuel lui donne carte blanche.
En dansant ces lignes, nous ne pouvons faire autrement qu’affirmer que le droit de vote n’est pour nous que le leurre d’un pouvoir qui s’agite devant nos yeux fatigués. Un appât qui déresponsabilise et qui décourage les personnes d’une vraie implication sociale, solidaire, éthique et écologique. Nous croyons que voter nous coupe du désir social et profond que l’on devrait cultiver pour réussir à réellement parler de démocratie, car en votant, nous renforçons un système qui brise l’humain – un système qui donne l’illusion d’une « prairie ensoleillée, mais qui n’est en fait qu’un enclos triste et sombre ». Voter, c’est consentir jour après jour à son bourreau, et lui dire merci – merci de me déposséder de mon pouvoir pour qu’il devienne le tien.
Bien sûr, nous précisons ici que nous ne prônons pas de simplement cesser de voter en nous laissant porter ou guider par un désœuvrement social et politique – c’est bien tout le contraire. Il faut agir, se responsabiliser, se redonner tous·tes ensemble ce pouvoir d’action et de réflexion qui est nôtre, se créer des espaces de discussions et de créations, se permettre de rêver hors des marges pour saisir avec force l’essence d’une démocratie représentative et inclusive, une démocratie enfin digne de sa radicalité propre.
Il n’y a rien qui pourra nous arracher du cœur « l’espérance d’une organisation sociale dans laquelle personne ne contrôle autrui et où chacun se contrôle soi-même »[1]. Alors, à toutes les personnes avides de pouvoir, aux fervent·e·s défenseur·euse·s du droit de vote qui délirent de façon démesurée et incohérente lorsque le mot anarchisme est prononcé, nous vous offrons ces quelques lignes de Maya Angelou[2] :
« Vous pouvez me rabaisser aux yeux de l’histoire
Avec vos mensonges tordus et amers
Vous pouvez me traîner dans la boue
Mais comme la poussière, je me soulèverai »
Nous sommes anarcha-féministes.
[1] Voltairine de Cleyre, citée par Avrich, An American Anarchist, op. cit., p. 136.
[2] Maya Angelou, Still I rise.