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L’implantation de bandes riveraines efficaces améliore la qualité de l’eau, limite les pertes de sol par l’érosion et stabilise les berges des cours d’eau. Pourtant, malgré une réglementation québécoise qui impose la présence d’une bande riveraine de trois mètres en bordure des cours d’eau à partir de la ligne des hautes eaux et au minimum d’un mètre sur le haut du talus, son application est très variable en milieu agricole. Pour comprendre pourquoi, une étude1 s’est penchée sur l’attitude des agriculteurs à l’égard des bandes riveraines.
Si certains producteurs croient que l’implantation d’une bande riveraine serait la « bonne chose » à faire, d’autres producteurs la voient comme une « expropriation déguisée », car elle entraîne le retrait de portions de terres cultivées, révèle l’étude de Julie Ruiz, professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières, et de ses collaborateurs.
En allant à la rencontre de producteurs agricoles qui cultivent dans les régions d’agriculture intensive du Québec, dans les basses terres du Saint-Laurent, Julie Ruiz et son équipe ont découvert que la moitié des producteurs rencontrés ont une attitude positive de fierté et de satisfaction à l’égard des bandes riveraines. L’autre moitié aurait plutôt une attitude négative d’agacement et de frustration.
La fierté serait surtout associée à la réussite de l’aménagement de la bande riveraine, alors que le sentiment de satisfaction se ferait sentir chez les producteurs qui comprennent les bénéfices des bandes riveraines pour leurs terres, le cours d’eau et les voisins.
Les producteurs associent l’implantation des bandes riveraines à des bénéfices essentiellement privés, comme la lutte à l’érosion, ils y voient aussi une responsabilité sociale à l’égard de leurs voisins : ils ne souhaitent pas leur occasionner de coûts supplémentaires pour l’entretien de leur cours d’eau.
Le sentiment d’agacement des producteurs renvoie aux contraintes qu’ils observent à l’égard de la production, plus particulièrement par rapport à la plantation d’arbres en bordure des cours d’eau. Le sentiment de frustration viendrait du fait que la bande riveraine est une réglementation imposée qui leur retire une portion de terres cultivées, porte atteinte à leur propriété privée et entraîne des coûts pour lesquels ils ne sont pas compensés, révèle l’étude.
Pour favoriser l’implantation des bandes riveraines, la connaissance des bénéfices chez les producteurs ne serait pas un facteur suffisant : d’autres facteurs entrent en jeu.
Une aversion pour l’arbre
Bien que les bandes riveraines avec arbres génèrent plus de bénéfices pour la qualité de l’eau et la biodiversité, les producteurs semblent manifester une aversion pour la présence d’arbres dans leur bande riveraine. En effet, 80 % des producteurs considèrent leur présence sur leur exploitation comme impensable. En fait, ils sous-estiment les bénéfices environnementaux des arbres dans les bandes riveraines.
Selon les producteurs, la bande riveraine devrait avoir la même apparence visuelle que les cultures, c’est-à-dire « propre, contrôlée et uniforme ». L’idée d’une berge de cours d’eau « propre » fait référence à l’absence d’arbres, car leur présence est perçue comme une négligence ou une perte de contrôle.
L’arbre et son entretien renverraient aussi au métier de sylviculteur que les producteurs ne considèrent pas comme étant le leur.
L’arbre n’a ainsi pas sa place dans les champs, il est vu comme un obstacle à la production : il est perçu comme pouvant nuire par exemple au drainage, à l’ensoleillement des champs, à la machinerie ou à l’écoulement des eaux.
L’adoption de normes sociales territorialisées pourrait toutefois agir comme moteur de changement. Dans la vallée de la Matapédia, la reconnaissance régionale de l’importance de la rivière par l’ensemble de la communauté a fait en sorte que la plantation d’arbres en bordure des cours d’eau est perçue comme une responsabilité sociale. Cette norme sociale a fait en sorte que les producteurs ont dépassé leur besoin d’avoir des berges « propres ».
Une protection nuancée
Aux yeux des producteurs, tous les cours d’eau ne mériteraient pas le même degré de protection. Les petits cours d’eau seraient jugés comme moins importants et nécessiteraient un moins grand respect de la réglementation.
Les bandes riveraines élargies sont celles qui supportent une plus grande diversité de fonctions écosystémiques, mais elles semblent envisagées par moins de 40 % des producteurs. Les producteurs les adopteraient seulement à des endroits stratégiques où ils voient un problème, tels que des zones de décrochement des berges. L’étude révèle un fait intéressant : le producteur doit voir le problème. Le seul fait qu’un professionnel qu’il ne connaît pas lui montre un inventaire cartographique des zones d’érosion et de décrochement des berges n’est pas suffisant pour que le producteur reconnaisse le problème. Pourtant, ces problèmes sont visibles à une période de l’année où il n’y a pas de travail agricole : durant la fonte des neiges. Le fait d’aider les producteurs à voir le problème durant cette période de l’année pourrait faciliter l’implantation de bandes riveraines élargies.
1. Julie Ruiz et al., « Entre sentiment de responsabilité et aversion pour l’arbre : les bandes riveraines vues par les agriculteurs », VertigO, vol. 21, no 1, mai 2021, p. 1 à 28, https://journals.openedition.org/vertigo/31763#tocto1n2