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Bernard Vachon : la sagesse et l’optimisme d’un amoureux fou de la ruralité

Par Éric Dubois le 2022/11
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Bernard Vachon : la sagesse et l’optimisme d’un amoureux fou de la ruralité

Par Éric Dubois le 2022/11

Pendant les campagnes électorales, les enjeux territoriaux et régionaux passent presque toujours sous le radar. Comme la population se concentre autour des « grands pôles », la réalité des minorités territoriales est peu abordée. Les mauvaises téléréalités remportent la palme, pendant que la réalité des régions, elle, reste méconnue. On en parle lors de catastrophes, de fermetures ou pour vanter les paysages bucoliques.

Malheureusement, trop peu d’intervenants politiques débattent d’une vision globale du développement territorial. D’ailleurs, aucun des cinq partis politiques n’avait, en septembre, de projet concret et prioritaire à offrir aux familles de la Gaspésie, aux retraités de l’Abitibi ou encore aux travailleurs d’usine de Baie-Comeau. À ce que j’ai pu voir, les municipalités se sont contentées de demander plus d’argent, sans revendiquer autre chose qu’une ministre pour porter leur faible voix jusqu’aux officines du pouvoir.

Mais, dans cette petite noirceur, il existe des étincelles de génie. La lecture d’un magnifique ouvrage du professeur Bernard Vachon, Rebâtir les régions du Québec. Un plaidoyer, un projet politique, me l’a rappelé. Mieux, j’y ai trouvé des raisons d’être optimiste pour la suite.

Sentiment d’abandon

Bernard Vachon connaît très bien l’histoire et les enjeux du développement régional du dernier siècle. Véritable amoureux de la ruralité, il a partagé sa carrière d’intellectuel entre son travail de professeur universitaire et celui de chercheur sur la ruralité, mettant en pratique ses réflexions.

Son constat est sans équivoque : les régions sont des mal-aimées. Les politiques appliquées au développement territorial depuis 1950 ont fait en sorte qu’on a tout simplement abandonné toute intervention de l’État pour le développement des régions. Du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec à la disparition des CRÉ, des CLD et d’à peu près tout le coffre à outils des régionaux, tout a accéléré ce que l’auteur Charles Côté a nommé « la désintégration des régions et le sous-développement durable au Québec ». Vachon fait le même constat et pointe du doigt le modèle unique qui guide les décisions des gouvernements depuis la Révolution tranquille.

Cette désintégration s’est incarnée dans la dévitalisation des milieux ruraux, accélérée par l’exode des jeunes et des familles vers les grands centres et les mutations vécues par le secteur agricole, mis à mal par le manque de relève et le peu d’intérêt des jeunes pour la vie paysanne.

Le coupable : le mythe selon lequel Montréal serait la locomotive économique, sociale et culturelle des régions, mythe associé à l’idée que la richesse finit toujours par ruisseler au bénéfice des multitudes. Or, on peut surtout dire que la métropole, et quelques pôles régionaux secondaires comme Québec, Sherbrooke et Saguenay, sont de bonnes locomotives pour elles-mêmes. Dans les régions wagons, on a l’impression, et la réalité le confirme, qu’on nous a laissés sur la voie de service. Destruction des moyens de production en périphérie et concentration autour des grands centres, dépendance mortifère aux ressources naturelles (rappelons l’affreux vocable « région-ressource ») et balance démographique négative, pire : exode.

Un plaidoyer en faveur des régions

Ce constat est difficile à contredire. Les statistiques sont sans équivoque. Heureusement le professeur Vachon, un des premiers à l’annoncer, voit de belles possibilités se pointer dans ce sombre portrait. La récente pandémie aura d’ailleurs été, pour lui, un tournant.

Avec l’apparition du télétravail, beaucoup de travailleuses et de travailleurs ont pris conscience que subir matin et soir le trafic n’était pas une fatalité. Il est désormais possible de travailler n’importe où au bout d’un réseau branché. Ce changement profond de nos habitudes de travail est pour l’auteur ce qui pourrait renverser la tendance à la désintégration des régions.

L’arrivée de jeunes familles de professionnels et d’universitaires dans les villages donne de l’oxygène à bien des communautés. Cette vague de néo-ruraux est pour Vachon un bon indice du vent qui commence à tourner.

Mais les régions ne peuvent rester les bras croisés pour autant. Il faut pour l’auteur mieux faire connaître la qualité de vie en région et définir un projet de développement territorial en misant sur les capacités des communautés locales à s’organiser et à trouver les solutions pour les questions qui les concernent. Il faut renforcer les outils pour protéger les terres agricoles et combattre l’étalement urbain. Le gouvernement doit lui aussi se doter d’une politique du développement des territoires. Comme le nouveau gouvernement de la CAQ a centralisé ce qu’il restait de préoccupations régionales et territoriales dans les mains du super ministre de l’Économie Fitzgibbon, on peut souhaiter que ce dernier lise le livre de Vachon.

Un projet politique?

Bernard Vachon rappelle que depuis la conclusion du nouveau pacte fiscal avec les différentes associations de municipalités, à l’automne 2019, le ministère de l’Économie et de l’Innovation planche sur une stratégie de développement économique local et régional. Il rappelle l’engagement du gouvernement Legault, en 2018, de mettre les régions au cœur de son action politique. Même si les résultats concrets sont encore attendus, Vachon dresse le portrait des avancées qui, même parcellaires, sont pour lui significatives.

L’auteur de 79 ans indique qu’il souhaite par cet ouvrage un peu conclure ses 52 ans d’action, de réflexion et de promotion de la vie rurale. Son optimisme est évident. Il nous rappelle cependant que notre survie comme espèce dépend de notre capacité à mieux arrimer notre consommation à la capacité de notre petite planète.

Il termine le livre sur cette citation du sociologue Jean Viard : « Et si, grâce à cette pandémie, après un siècle de montée vers la ville, après la société industrielle, après la lutte des classes, on assistait au grand retour des territoires et des lieux, de l’unicité des individus et du sens de la vie? Et si nous avions basculé dans une nouvelle civilisation, numérique et écologique? Et si la révolution que l’on attendait était finalement arrivée? »

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