Actualité

Kamouraska : entre caps et aboiteaux

Par Jean-Francois Vallée le 2022/11
Image
Actualité

Kamouraska : entre caps et aboiteaux

Par Jean-Francois Vallée le 2022/11

Les trois reportages précédents ont amené les lecteurs du Mouton Noir à constater que les caps boisés et sauvages le long du littoral du Saint-Laurent sont désormais chose du passé. De la Pointe-aux-orignaux au Cap-au-Diable, soit de La Pocatière à Saint-Denis de la Bouteillerie, la popularité grandissante du « doux pays du Kamouraska » les a morcelés et développés. Même la pointe qui s’étire au bout du chemin de la 5e Grève Ouest jusqu’au bout de l’anse de La Pocatière abrite un chapelet de chalets. Les chemins de Boishébert, Maurice-Proulx et d’Auteuil ont depuis longtemps commencé à y empiéter sur la forêt.

Kamouraska, de loin la plus connue des municipalités de la MRC, lui donne son nom. Mais elle ne comporte aucune pointe à développer s’avançant dans le fleuve… Jusqu’à Notre-Dame-du-Portage, le littoral s’étire sans aspérités, offrant une longue batture en courbes gracieuses et arrondies, à l’exception de deux presqu’îles, une à Saint-Germain, l’autre à Saint-André, dont nous reparlerons. Mais où donc s’installent les villégiateurs en l’absence de tels points de vue vierges?

Pour bien répondre à cette question, il faut d’abord comprendre qu’à Kamouraska, les aboiteaux ont artificiellement éloigné les caps boisés du fleuve. Au XVIIIe siècle, les Acadiens les ont inventés afin de dompter les plus hautes marées du monde, celle de la région de l’ancienne baie Beaubassin, rebaptisée baie de Fundy par les Anglais. Il s’agit de « digues dont les clapets sont destinés à drainer les marais en bordure de la mer lors de la marée descendante tout en empêchant l’eau de mer de les inonder lors de la marée montante1 ». Et les aboiteaux assèchent en effet si bien les anciennes battures qu’elles s’ouvrent depuis toutes grandes à l’agriculture. Leur présence explique que le « Berceau de Kamouraska2 », jadis situé directement au bord du fleuve, se trouve depuis longtemps au sud de la 132, route que de longs champs séparent depuis de la rive.

Mais le règne des aboiteaux est de plus en plus remis en question par les changements climatiques. Devant l’agressivité grandissante des grandes marées, la municipalité doit songer à redonner à la batture ses anciens droits en repoussant ces digues vers le sud. L’avenir n’est peut-être pas si lointain où le fleuve viendra mouiller le bas du rang du Cap, où là aussi les maisons se multiplient, profitant de la désignation d’« îlots déstructurés ».

Le territoire de Kamouraska est composé à plus de ٩0 % de terres agricoles, et seul le village, qui correspond à une mince bande de terre le long du fleuve consacrée à la villégiature, se trouve en zone blanche. L’héritage de l’époque seigneuriale a découpé en bandes rectilignes perpendiculaires les rives du Saint-Laurent. Ainsi, chaque terre agricole qui traverse un cap se trouve à « sauter par-dessus », comme le dit la nouvelle mairesse Anik Corminbœuf. Or, un agriculteur qui possède plusieurs lots peut y ériger des maisons pour lui et sa famille, puisqu’il n’en résulte aucune perte de potentiel agricole. Une fois lui et ses proches bien logés, il lui restera peut-être des « secteurs de faible superficie comportant des espaces de terrain vacants non propices à l’agriculture », ce qu’on appelle dans le jargon des « îlots déstructurés ». Cette désignation ouvre « la possibilité pour un particulier d’acquérir un terrain vacant en zone agricole et de s’y construire une résidence3 ».

C’est précisément ce qui se passe en ce moment sur le chemin du cap : il devient de plus en plus populaire de s’y bâtir, pour profiter là aussi du superbe panorama. Mais qui veut s’y loger doit forcément en déboiser le sommet. Chacun souhaitant sa propre entrée du côté sud, le plus accessible du cap, il faut se résigner à gruger profondément le roc et le tuf en les dynamitant et en les pilonnant, ce qui altère considérablement le paysage, comme on le voit sur la deuxième photo.

Le site est si beau que la seule maison ayant survécu à la dévastation de la Côte-du-Sud par les Anglais, en septembre 1759, a servi de lieu de tournage pour le célèbre film Kamouraska de Claude Jutra (1973).

On peut cependant se rassurer un peu en se disant que Kamouraska possède une richesse en grande partie protégée de façon permanente : les îles qui forment l’archipel de Kamouraska (l’île aux Corneilles, l’île de la Providence, l’île Brûlée, l’île aux Patins et la Grande-Île). Trois d’entre elles appartiennent au gouvernement fédéral, qui les a fort heureusement léguées aux… oiseaux.

Les projets de la nouvelle mairesse

Durant son mandat, Anik Corminbœuf cherchera à concrétiser des souhaits qui lui sont chers, notamment pour les espaces humides et les cours d’eau, mais qui tardent selon elle à être mis en œuvre. Elle croit que le défi consiste à déployer une vision cohérente et efficace sans trop déplaire aux citoyens. « Cela pourrait passer par une consolidation de ce qui existe, comme la réduction du taux de taxation d’un propriétaire qui souhaite protéger une tourbière ou une forêt », cite-t-elle en exemple.

Déjà, le conseil a débloqué des fonds pour renaturaliser avec des plantes indigènes l’aboiteau situé entre l’école primaire et le cap Taché, en collaboration avec l’organisme des bassins versants OBAKIR.

Elle souhaite aussi faire adopter une politique de l’arbre pendant son premier mandat en profitant de la révision du plan d’urbanisme, piloté par la MRC. Pour le moment, en cas de coupe illégale d’arbres, les amendes sont minimes, et le manque d’inspecteurs ne permet de remettre aucune infraction. Qui plus est, le règlement actuel ne s’applique qu’au village, et non aux rangs.

Par ailleurs, elle souhaite faire installer des lumières ambrées sur tous les lampadaires de la municipalité, en collaboration avec Saint-André, Saint-Denis et Rivière-Ouelle, dans l’objectif d’en faire une réserve étoilée, comme dans le secteur du lac Mégantic.

Chose certaine, le contexte est plus que jamais propice à l’action.

À suivre dans le prochain numéro : la municipalité de Saint-Germain-de-Kamouraska.

1. Dictionnaire Antidote 10.

Site patrimonial abritant le premier centre civil et religieux de Kamouraska (1692 à 1791).

3 Virginie Lachapelle. « Comment se bâtir une maison en zone agricole ? », GCL Notaires, février 2017, février 2017, https://gclnotaires.com/chroniques/maison-zone-agricole-ilots-destructures/.

Bâtir la Gaspésie, à quel prix pour la flore?

Partager l'article