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Terrorisme soft : réponse à Christian Rioux

Par Michèle Lavoie le 2022/10
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Terrorisme soft : réponse à Christian Rioux

Par Michèle Lavoie le 2022/10

Cher Christian Rioux, j’ai pas tant trippé sur ta chronique de jeudi dernier. 

Si je me concentre, j’arrive presque à être emphatique devant ta petite crisette. T’as eu peur, hein ? Au début tu pensais que la toile était tâchée pour vrai, ça a fait monter ta colère contre les écolos et en moins de temps qu’il n’en faut pour crier le mot « terroristes », t’as réussi à les traiter d’antihumaniste parce qu’ils ne s’émeuvent pas devant les laideurs d’un champ d’éoliennes. Grosse journée.

Tu écrivais dans ta chronique que « depuis une décennie, écologistes et spéculateurs ont fait alliance en France afin de massacrer à coups d’éoliennes à perte de vue ces mêmes paysages qui inspirèrent autrefois Renoir, Cézanne ou Van Gogh. »

C’est clair qu’un gars qui hyperventile devant une toile indemne s’attend à une suffocation collective d’écolos devant une source d’énergie renouvelable. C’est bien que tu sois sensible à ce point à l’art, Christian.

Pour ma part, on dirait que l’écolo en moi n’a plus de jus pour s’émouvoir des paysages détruits par des éoliennes. Paysage que la grande majorité des écolos essaie justement de sauver, tu sembles mal le comprendre. C’est pourtant pas si compliqué.

Avant de t’épivarder devant ces « moulins à vent » qui n’émeuvent pas assez les écolos, cher Don Quichotte de la chronique, tu pourrais peut-être te calmer le système nerveux central pis te demander quel était le message de ces femmes-là. Ces « amazones » comme tu les appelles, nourrissent la résistance et contribuent, entre autres, merci à toi, à améliorer nos stratégies pour attirer les médias.

En tant qu’activiste environnementale, quand j’analyse cette action, je décèle un « Eille gang, on aimerait ça vous dire que ça fonctionne quand même vraiment bien de la soupe aux tomates sur une toile pour appâter les journalistes. Même pas besoin de la salir, ça mort en masse ! » Cette action-là a été conçue pour des gars comme toi. Touché !

Le Van Gogh était protégé par une vitre. Respire. S’émouvoir autant pour une toile qu’on n’a jamais voulu saccager, c’est du luxe – il paraît que dans certains bidonvilles, les gens n’ont pas bronché d’un poil.

Voyons voir si moi, j’ai ce luxe – Je regarde à l’instant la photo d’un champ d’éolienne. J’arrive comme pas à brailler. C’est peut-être la résolution de l’image. Peut-être que j’ai juste plus de larmes. Je pense que j’ai trop braillé en lisant le rapport du GIEC. J’ai trop pleuré de fatigue après avoir passé une journée entière, la veille de ta chronique, juchée sur le pipeline d’Enbridge qui menace l’eau potable de millions de Québécois.es. Et là je m’émeus, malgré moi, devant la faible couverture médiatique de notre cause: défendre le vivant. On dirait que j’ai trop souvent peur. Mais les experts du climat  me disent que c’est normal. Fiou.  

La soupe, c’est ton moulin à vent à toi Christian. Là où il y avait de la tomate, tu as cru voir de l’anti-humanisme. Fascinant.

Il est normal d’avoir des réactions s’apparentant à de la légitime défense, quand les plus grand.e.s scientifiques du climat te disent que ton futur, y va faire mal – si tu te déguédines pas à sauver la planète. La désobéissance civile serait selon toi la tarte à la crème de « radicalité écologiste », ce à quoi je répondrais que depuis quelques années, les chroniqueurs de ton genre sont devenus la tarte à la crème de l’indifférence médiatique. Ta passivité, qui se défend en traitant les activistes qui résistent pacifiquement, « d’écologistes radicaux », est dangereuse. 

Tu écris, « Pourtant, rien na été laissé à limprovisation dans ce geste dont la presse internationale a fait ses délices ». On peut dire que tu t’es vautré dans ces délices sur un moyen temps. Gourmand, va ! 

Il y a des chroniqueurs passifs qui s’époumonent à critiquer les messagères, nous noyant ainsi de leur syndrome de Cassandre. Mais heureusement, il y a des messagères qui, quand elles voient les images de leur fin du monde annoncée, pitchent un pot de soupe sur un Van Gogh ou s’enchaînent à un pipeline, dans l’espoir d’être entendues.

Quand le sage pointe du doigt, Christian Rioux admire son reflet dans la soupe.

Tu écris, « ces tournesols, découverts en Amérique, puis patiemment sélectionnés et cultivés avant d’être sublimés par lart, leur deviennent insupportables. Ne représentent-ils pas à leur manière ce que lhomme peut faire de plus beau avec la nature ? »

J’aurais tendance à dire, woke que je suis, que ce que l’homme peut faire de plus beau avec la nature, c’est d’essayer d’en prendre soin. Pour l’instant, je pense qu’on peut faire mieux qu’une peinture.

Justement, le scientifique de la NASA Peter Kalmus nous rappelait la semaine dernière « quil ny a pas dart sur une planète morte ».

Penses-tu que Van Gogh aurait sacrifié sa toile pour qu’on cesse de tuer la beauté du monde ?

Christian, faisons de la terre un grand jardin où on n’aura plus besoin de sacrifier notre soupe pour assurer notre avenir !  Scuse-moi, je viens de maladroitement saccager les paroles d’un chef-d’œuvre de la chanson québécoise… Je voulais juste attirer ton attention pour te poser quelques questions.

Penses-tu qu’une chanson de Diane Dufresne vaut plus que la vie ? Penses-tu qu’un jour, il y aura plus d’œuvres d’art que de vivants ? Plus de misère que de beaux ? Si on demande aux expert.e.s du GIEC, iels nous répondront que « si rien n’est fait, y’a bien des chances. »

En tout cas, inquiète-toi pas, à voir comment les médias tombent dans la soupe populaire,  quand il n’y aura plus de tournesols à peindre, mais il y aura peut-être encore la fameuse peinture qui t’a permis de délester ton fiel sur les écolos.

Bien préservés sous une vitre, à l’abri des terroristes « soft » en manque d’attention médiatique, Les Tournesols reposent en paix.  

Mais nous, nous serons morts, mon frère.

Michèle Lavoie

Membre du collectif Antigone et activiste lors de laction de désobéissance civile au terminal Valéro dans lest de Montréal le 19 octobre dernier pour dénoncer le fait que la ligne 9b menace leau potable de 3 millions de québécois.es et que linaction des classes dirigeantes menace la vie sur terre. Nous sommes le 99 % et à nos corps défendants nous résisterons tant quil le faudra. 

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