
Par Bruno Tremblay
Une réforme du système politique, « les gens n’ont pas d’appétit pour cela », nous a dit François Legault lors du dernier débat à Radio-Canada. Cette phrase résume bien l’état général de cette campagne où le populisme s’est non seulement emparé de certains candidats, mais est devenu le système politique lui-même.
On parle au nom du peuple, de ses envies, de ses besoins, mais surtout pour se donner une image positive afin de grappiller quelques votes. Un peuple avec lequel les élites politiques n’ont ni connexion ni même un semblant de compréhension. On utilise seulement ce mot étiquette parce qu’il séduit certains électeurs.
Beaucoup de politiciens ne veulent pas le bien commun, ils veulent le pouvoir. C’est un jeu, voire une drogue pour certains, un moyen pour se donner une chance au panthéon de la gloire de la société québécoise.
Si nous regardons d’un peu plus près, les sondages nous montrent que le prochain gouvernement risque fort d’avoir près de 80 % des députés, avec autour de 40 % du vote populaire. Et, si on se fie à la tendance des dernières décennies, avec un taux de participation qui risque d’atteindre au mieux les 60 %.
Autrement dit, 25 % des gens ayant le droit de vote donneront 100 % du pouvoir à un parti politique puisque, dans le parlementarisme, les contre-pouvoirs sont faibles, voire inexistants, pour un gouvernement majoritaire. En effet, il y a une grande concentration des pouvoirs en la personne du premier ministre et le gouvernement est aussi la force majoritaire au sein du pouvoir législatif. Ce qui veut dire, en quelque sorte, que le chef du gouvernement, qui exécute les lois, est aussi celui qui les écrit.
Si le supposé peuple n’a pas d’appétit pour une réforme du système politique, ce n’est pas parce qu’elle n’est pas nécessaire ou souhaitable. C’est que le peuple n’a ni pouvoir ni voix dans ce système. Il est limité à donner une impression, par le vote, pour désigner qui sera son maître pour les 4 prochaines années.
Le pire, c’est que l’électeur n’a pas besoin d’y connaître grand-chose, de s’y intéresser, de débattre, de discuter. Seul dans l’urne, il peut se contenter d’une humeur pour voter. Il doit, en plus, tout au long des processus électoraux, se contenter d’un rôle de spectateur et laisser l’élite s’arracher son vote en y allant de marketing politique agressif.
Ce qui est franchement absurde, c’est que les politiciens ont le contrôle du menu et ensuite ils clament que le peuple n’a pas d’appétit. C’est comme un restaurant qui n’offre pas de salade sur son menu et dit qu’il n’en offrira pas parce que personne n’en commande…
En plus d’être un argument boiteux, cela passe à côté du problème de fond : si c’est une bonne chose de manger de la salade pour la santé, c’est peut-être une bonne idée d’en offrir si nous avons le bien de nos clients à cœur, si nous ne souhaitons pas nous servir d’eux comme un simple moyen de générer un profit.
Le système électoral, dans sa mouture actuelle, et j’ajouterais même par essence, ne permet pas de donner une députation et un gouvernement connectés au peuple. Il donne le champ libre aux démagogues, aux vendeurs, aux « combattants ultimes », aux slogans vides, aux mots-étiquettes plutôt qu’aux idées…C’est une télé-réalité d’un mois dans laquelle nous désignons le gagnant comme nous le ferions pour un prix du public.
Être désigné gagnant d’un tel « freak show » est même encore plus facile : pas besoin d’une majorité absolue ! Je le rappelle, selon les projections actuelles, environ 25 % des électeurs couronneront notre prochain Souverain. Si nous savons lire entre les lignes, cela signifie que 75 % n’en voudront pas. Mais, j’oubliais, le peuple n’a pas d’appétit pour cela…
Qu’est-ce qui distingue la monarchie, l’aristocratie et la démocratie ? Nommer le système actuel démocratie rend pour le moins confus le sens de ces trois termes. La concentration des pouvoirs dans la personne du premier ministre, c’est un concept monarchique : le pouvoir d’un seul. Les élections sont issues du système aristocratique, profondément hiérarchisé et élitiste, dans lequel ce sont les «meilleurs» qui décident. L’élection permet, semble-t-il, de choisir les meilleurs parmi les meilleurs. La démocratie au sens originel, quant à elle, était une démocratie directe parce qu’elle repose justement sur le pouvoir des citoyens. Sans ces distinctions, chacun de ces termes perd son sens et cela sème la confusion.
Autrement dit, nous finissons par croire qu’un système dans lequel une minorité privilégiée dirige, mené par un personnage puissant, est un système basé sur le pouvoir du peuple. C’est à tout le moins tordu…
Dans le contexte actuel, force est de constater que la position la plus raisonnable n’est pas celle d’aller voter, comme tous les prêcheurs de la «démocratie» le demandent, mais de s’en abstenir. Donner de la légitimité à un tel système, ce n’est pas ce qui va produire l’avènement d’un système réellement démocratique.
Systématiquement, l’appétit pour une telle réforme du système politique se perd par les politiciens une fois placés au pouvoir par ledit système. Pourquoi le changer s’il donne ce qu’ils souhaitent, c’est-à-dire le pouvoir pour lui-même ?