
Patricia Possadas
Aujourd’hui, comme hier et comme demain sans aucun doute, je pense à Toi, toi, qui es issu.e de cette terre, toi qui es venu.e du ciel pour tomber sur le dos de la tortue, accueilli.e par les animaux qui créèrent la terre pour sauver ta vie, si juste métaphore.
Toi qui as découvert les chemins de rivière pour tes longues migrations nourricières.
Toi qui es issu.e d’une lignée de magnifiques nomades qui ont sillonné le continent sans y laisser de traces profondes.
Tu as appris aux ancêtres venus de France les chemins qui marchent et les remèdes qui dorment dans les plantes.
Tu leur as appris les secrets du bouleau pour résister aux maladies de l’hiver,
Les portages,
Les territoires de chasse, la trappe,
La joie de vivre en accord avec une nature imprévisible, indomptable certes, mais bienveillante aussi.
Tu fus léger, légère sur cette terre, mais c’est toi que l’on a puni.e et emprisonné.e dans le carcan mortifère d’une culture mortifère,
Une culture qui se trouve à l’envers de la tienne,
Une culture qui considère que la terre appartient aux humains,
Qu’elle a été créée pour eux,
pour leur usage,
pour leur profit,
Une culture qui donne à ses tenant.e.s le droit de cuissage sur la virginité des forêts, des fleuves, des mers, des montagnes et des lacs, des glaciers et des rivages.
Une culture qui donne le droit de crucifier la beauté pour enrichir les greniers et les coffres, et solder le tout, un beau dimanche matin, par une belle vente de garage où se bousculent les collectionneurs de choses inutiles, tandis qu’on meurt de faim ailleurs.
Toi, tu es sauvage, comme le soulignait An Antane Kapesh, parce que tu appartiens à la nature et non l’inverse,
Parce que tu viens de la forêt
Et parce que tu considères la nature comme une cathédrale.
Je suis amoureuse de toi depuis toujours.
Je t’ai d’abord idéalisé.e.
Je ne te connaissais pas ou bien je connaissais de toi les images d’Épinal construites par des livres et des films qui t’inventaient sans t’écouter, sans te demander ton avis.
Tu as commencé par être un rêve.
Et puis je suis venue sur cette terre sur laquelle tu avais vécu libre pendant des millénaires, à l’abri de nos folies dévastatrices.
Tu étais humain.e. comme nous, avec tes défauts et tes qualités
Mais tu possédais toutefois une chose que nous n’avions pas:
L’amour envers le territoire qui te nourrissait, te permettait de vivre, de mourir aussi parfois.
Tu étais reconnaissant.
Nous, nous ne savions pas ce qu’était la reconnaissance. Pour te remercier de l’aide que tu nous as apportée, nous avons décidé de te civiliser.
La violence de la colonisation t’a jeté.e dans ces réserves qui sont la preuve ultime de nos égarements.
La première réserve en Amérique du Nord fut créée dans notre Bas-Saint-Laurent.
Notre premier évêque rimouskois, l’odieux Langevin, a mis tout son poids, qui n’était pas petit, dans cette bataille pour t’arracher le lopin de terre que l’on avait daigné te jeter en pâture
Tu n’arrivais pas à le cultiver disait-on. Tu ne l’avais jamais fait. Tu essayais pourtant, mais au bout de trois ans, on te considéra inapte. Tous les prétextes ont été bons pour te chasser.
C’était à Saint-François-Xavier-de-Vigers.
Les colons disaient que tu ne méritais pas cet étroit bout de terrain. Je dis «étroit» si l’on pense à ton territoire qui s’étirait tout le long de la Saint-John et bien au-delà.
Toi qui as été le peuple de la rivière, toi qui nous as aidé.e.s à pénétrer les terres que nous allions finir par t’arracher.
Les colons disaient que c’était du gaspillage une belle terre de même laissée entre des mains si inexpertes et l’évêque écrivait que tu étais paresseux.
On a fini par te parquer à Cacouna, sur un bout de chiffon, où ton peuple a commencé à se dissoudre.
On t’a envoyé dans les pensionnats pour te laver le cerveau à grand renfort d’eau bénie et d’abus de toutes sortes.
Mais ton peuple, malgré toutes les attaques, n’a pas su disparaître au grand dam de celles et ceux qui se voulaient maîtres chez toi.
Te voilà en train de renaître.
Tu te lèves et avec ta voix si calme, avec le sourire si large que donne la souffrance,
Tu te lèves et tu exiges enfin réparation et reconnaissance.
Aujourd’hui, comme hier, comme demain, je pense à toi
Parce que j’ai besoin de toi pour réapprendre la nature
Ce «temple vivant» que ma culture a blessé profondément.
Comme aux premiers temps de notre rencontre, nous espérons ton aide pour retrouver les chemins de la forêt et ceux de l’espoir.Pour survivre.
Même l’ONU, entends-tu?, dit qu’il nous faut apprendre de vous pour mieux vivre le territoire.Tu te rends compte?
«Vivant en harmonie avec la nature, les peuples autochtones contribuent à sauvegarder 80 % de la biodiversité mondiale et détiennent bon nombre des solutions à la crise climatique, bien qu’ils constituent moins de 5% de la population mondiale.
Les peuples indigènes doivent faire partie de la solution au changement climatique. En effet, ils possèdent les connaissances traditionnelles de leurs ancêtres. La valeur importante de ce savoir ne peut, et ne doit, pas être sous-estimée, a déclaré Patricia Espinosa, secrétaire exécutive d’ONU Climat.»[1](13/09/2021)
Chaque jour de ma vie, Innu, Cree, Naskapi, Wolastoqiyik Wahsipekuk…, je vous salue!
[1] https://unfccc.int/fr/news/l-engagement-de-plus-en-plus-fort-des-peuples-autochtones [consultée le 25 septembre 2022]