
Cher électeur,
Je sais, tu croyais t’en sauver, tu croyais que j’allais écrire mon épître mensuelle à propos de la Reine et des crimes contre l’Humanité de l’Empire britannique, tu croyais pouvoir te cacher derrière l’éclipse médiatique provoquée par le trépas de cette femme envers qui j’ai quand même envie d’être plus magnanime qu’envers toi.
Vois-tu, elle a accompagné ses parents à visiter les citoyen.ne.s britanniques dans les rues d’une Londres quotidiennement bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale alors qu’elle était l’héritière de la Couronne de l’Empire britannique, un pouvoir déjà seulement symbolique à l’époque.
Toi, tu n’as même pas le courage de prendre un pouvoir réel qui, pourtant, te revient de droit, sans même avoir à te salir les mains – elle, elle a terminé la guerre comme mécanicienne et conductrice d’ambulance militaire.
Tu préfères, de ton côté, te vautrer dans le confort et l’indifférence, comme dans le documentaire de Denys Arcand, et « continuer », pour paraphraser le slogan du parti pour lequel tu vas vraisemblablement voter, à avaliser le saccage social et environnemental qui va très certainement se poursuivre.
Je sonne dur et sévère envers toi, on croirait presque que je te déteste. Mais non – ici, dans cette chronique, je distribue surtout du tough love, pas tant de la haine. Quand j’étais dans l’armée, on appelait ça « la sandwich renversée » : viande-pain-viande, dur-mou-dur. Je te rentre dedans, mais c’est pour ton bien, comme dans une intervention sur un alcoolique pathologique.
Pas de haine, donc, sur cette tribune. Sauf envers Éric Duhaime – lui, je l’haïs. Pour vrai.
Le pire, c’est que tu as 13 chances sur 100 de voter pour lui selon ce que me dit le site Québec 125. Je sais, je sais, il t’a promis d’être « libres chez nous » – déjà, ça montre toute l’arrogance vide que peut projeter un homme sans autres convictions que celles de ceux qui signent ses chèques. Ce qu’il ne t’a pas dit, c’est que son idée de la liberté, pour citer un de ses vieux chums économistes libertarés, c’est de choisir nos maîtres. Et le maître, ce ne sera pas toi, ça va être les barons du pétrole, les roitelets des mines, les oligarques de la santé privée et « les rois de la pizza congelée », pour citer le regretté Falardeau.
Toi, tu vas avoir vendu ton âme pour une poignée de change et on peut déjà prédire que tu vas ramer comme un galérien le jour où tu vas te rendre compte qu’on peut faire faillite en mettant un enfant au monde, comme aux États-Unis. Think big, go broke.
Si j’étais anthropologue ou sociologue ou même Bernard Landry, au lieu d’être un vulgaire scribe, je te donnerais une dénomination scientifique en latin : homo quebecus electoralis. Car tu es réellement une curieuse bibitte dans l’écosystème de notre « demi-pays », comme le dit brillamment Jean-François Nadeau.
Tu veux des meilleurs services, mais payer moins d’impôt.
Tu es préoccupé par les problèmes en éducation et tu as peur pour l’instruction de tes enfants, mais tu chiales que les profs sont déjà « gras dur » et, devant le dangereux spectre d’une pénurie généralisée, ta plus grande crainte reste que tes enfants parlent français comme Adil Charkaoui parce que leur enseignante porte un hijab.
Tu chiales qu’on manque de médecins, mais tu laisses le gouvernement refuser à des carabins qualifiés mais diplômés à Casablanca, ou même à Budapest, de pratiquer la médecine pour mieux les laisser chauffer des taxis… Parce qu’au Québec, « c’est comme ça qu’on vit », n’est-ce pas?
Tu capotes et tu cries au Péril rouge parce que Québec Solidaire propose ENFIN une mesure un peu plus à gauche (taxer davantage les grosses successions), mais ça te dérange pas trop de voir les gros doigts gras à Fitzgibbon continuer de salir les cordons de la bourse collective parce qu’un gouvernement capitaliste corrompu te fait moins peur qu’un gouvernement qui serait juste un peu plus social-démocrate. Pire, tu te mets à confondre la Norvège avec la Corée du Nord.
Même si tu trouves « dont bin effrayant » les incendies et les inondations dans l’Ouest, l’urgence climatique tu t’en sacres comme du béluga que David Heurtel avait adopté pour avoir l’air un peu plus « écolo » tout en siégeant dans un gouvernement plutôt gazeux. Comme tu dis, « ça va changer quoi, on est une p’tite place icitte par rapport à la planète! »
Dans ce temps-là, tu me fais penser aux vieux réacs de mon village qui ne veulent pas d’un paysagement revitalisé le long de la 132 pour ne pas endurer quatre mois à devoir passer par la rue principale et être pogné à rouler juste à 30 km/h, bin pressés d’aller nulle part.
Des fois, tu dis même encore que tu veux un pays, mais tu ne veux pas t’en donner les moyens et ton idée de « pays », c’est un Québec encore pogné dans l’OTAN, vassalisé aux États-Unis, vendant ses ressources à une cenne la tonne, extraites par des mineurs incapables ou presque de se syndiquer parce que tu votes pour des politiciens qui les méprisent.
Québec « libre » de choisir ses maîtres, bien sûr.
Je t’en conjure donc : transcende toute la bouillie électorale qu’on te sert, pense à l’extérieur des cadres qu’on t’a imposés toute ta vie et vois le monde pas nécessairement comme moi je le vois, mais au moins de manière un peu plus objective!
De toute façon, peut-être que je chiale pour rien – si je me fie à la dernière fois, y’a une chance sur trois que t’ailles même pas voter.