

Paulo Freire, un pédagogue brésilien des années 1960, avait développé l’idée que notre éducation était malade: au lieu qu’elle soit axée sur un dialogue horizontal, sans hiérarchie, nous permettant de réellement amener l’individu à développer un sens critique face aux savoirs qu’on lui transmet et d’ainsi susciter une soif de questionnement sur sa capacité à transformer le monde pour s’épanouir, notre éducation est assistancialiste, c’est-à-dire que nous apprenons du par cœur sans l’expérimenter et sans même pouvoir porter un jugement sur cette connaissance. C’est ainsi qu’il mit en place une pédagogie qui prit l’apparence d’un jeu afin de conscientiser et d’alphabétiser le peuple brésilien. L’expérience fut un réel succès et l’activité devint pandémique: en quelques mois seulement une grande majorité de la population fut alphabétisée, mais surtout, conscientisée sur leur capacité transformationnelle sur le monde. Or, soixante ans plus tard, avec la crise écologique que les civilisations affrontent, il n’a jamais été aussi pertinent de conscientiser les citoyen.ne.s à ce problème, alors même qu’iels baignent dans l’illusion de la consommation.
En réalité, le jeu révèle être un excellent outil pédagogique. On l’utilise depuis la nuit des temps. On le retrouve même chez les animaux! Il est impossible qu’un jeu ne nous apprenne pas quelque chose! Que ce soit par ses règles, par les actions qu’il demande ou même par sa trame narrative, le jeu véhicule des savoirs multiples.
Cet apprentissage peut être conscient (apprendre à compter, user de stratégie, etc.), mais elle peut aussi être inconsciente comme l’amélioration de réflexes visuels dans l’utilisation régulière des jeux de tir. À ces deux formes d’apprentissage, on pourrait en ajouter une troisième : l’idéologie, qui, elle plus subtile, peut être consciente et/ou inconsciente à la fois. Si encore aujourd’hui nous avons de la difficulté à voir dans le jeu un outil pédagogique, c’est qu’il fut trop longtemps relégué tantôt comme appartenant au domaine de l’enfance, tantôt à celui du divertissement, alors qu’il est un moyen d’apprendre tout en s’amusant!
Toutefois avec l’émergence des jeux vidéo et son accessibilité grandissante, il est curieux qu’on ne voie pas plus de jeux afin de lutter contre les changements climatiques.
Actuellement, la majorité des jeux écologiques tombent dans le piège néolibéral. On fait la promotion des futures technologies salvatrices, des comportements de sobriété individuelle, du bien fait du recyclage, de la déculpabilisation des joueur.se.s en achetant des arbres qui seront plantés dans le monde réel alors que ces solutions ne font qu’accentuer le comportement consumériste en mettant un pansement sur une hémorragie sans s’attaquer à l’hémorragie même : le capitalisme.
En fait, le contexte productif du secteur vidéoludique est probablement l’une des principales contraintes à l’émergence de jeux à vocation transformationnelle des comportements. Le besoin de croissance, la compétition sur le marché, la pression mise sur les équipes de production et le clonage/sérialisation des jeux sont autant de facteurs qui limitent la créativité des concepteurs. Et c’est sans oublier l’omniprésence de valeurs néolibérales et militaires qui sont si bien assimilées qu’on ne les voit plus.
En effet, la surreprésentation des armes à feu et de leur gameplay dans les jeux est corolaire à l’investissement de l’armée américaine dans ce secteur technologique. Si cet investissement a si bien fonctionné pour coloniser notre imaginaire vidéoludique, tout indique qu’il serait tout aussi pertinent de le faire pour l’écologie sociale.
Toutefois, cette transformation ne peut se faire sans un travail de réflexion. Tirer, détruire, compétitionner, accumuler, etc., tant de mécaniques utilisées depuis plus de trente ans à repenser et remodeler. Les joueur.se.s et les concepteur.trice.s ont si longtemps baigné dans ces mécaniques qu’elles sont intériorisées et naturalisées au point où elles sont associées au «fun».
L’idée même d’une approche socioécologique implique de penser à un système alternatif au capitalisme qui pourrait être viable. Or, les jeux vidéo représentent un secteur économique important. Bien que la fin du capitalisme ne veuille pas dire la fin des jeux vidéo, ces compagnies n’arrivent pas à se penser en dehors du capitalisme.
Vendre la décroissance n’est pas facile, mais c’est le rôle des jeux vidéo. Si cette industrie veut survivre à l’avenir, elle doit changer sa manière de se concevoir et comprendre le réel impacte qu’elle a sur les générations actuelles et futures.