
Dans le creux du bois, je consacre mon été à nourrir mes réflexions pour mon mémoire sur le roman régional contemporain. Mes lectures m’ont amenée à parcourir quelques territoires : le Nutshimit de Naomi Fontaine, les falaises de Virginie DeChamplain, ou encore le « Caps-Mouraskois » de Jean-François Caron. C’est intriguée que je me suis plongée dans la lecture du troisième roman de Paul Beaulne, Le périscope; qui dépeint les forêts bas-laurentiennes, ses marais bordés d’herbes hautes et ses villages où tout le monde jase de tout le monde.
Dès les premières pages, nous faisons la connaissance d’Olivier, un jeune vagabond solitaire âgé d’à peine 10 ans. Pendant les vacances d’été, son imagination et sa curiosité le conduisent à découvrir de fond en comble les environs du village – et les mots qui lui permettent de désigner les lieux. Ces pérégrinations en apparence anodines camouflent une histoire tragique : le cancer incurable de sa mère. Le périscope s’inscrit dans la lignée des romans tels que La vie devant soi de Romain Gary, dans lesquels de jeunes protagonistes sont initiés très tôt aux rudesses de la « vraie vie ».
Si l’écriture parfois redondante peut en rebuter quelques-uns en raison de l’usage répété des mêmes substantifs, certains mots deviennent essentiels puisqu’ils constituent des symboles auxquels le protagoniste se raccroche. C’est le cas du grand héron qu’Oli découvre parmi les herbes hautes et dont la silhouette rappelle la forme du périscope. Le garçon s’inspire de cette image d’intelligence et d’acuité pour soutenir sa mère dans la maladie : « – Écoute-moi, maman ! Je suis un périscope et je vois plus loin que le bout de mon nez. Je t’aime, maman, et je vais t’aider. »
Pour épauler Oli, une fresque de personnages bigarrée se construit, composée de marginaux aussi singuliers qu’attachants. Bien que les dialogues soient ponctués de nombreux points de suspension, ce qui alourdit la prose, les réalités qui y sont abordées n’en demeurent pas moins sincères, profondes. Qu’ils soient aux prises avec l’alcoolisme, la maladie ou encore l’homophobie, les personnages doivent composer avec leur passé et apprendre à faire confiance de nouveau.
C’est ce que nous enseigne le personnage de Judith, préposée dévouée dans un centre de soins pour personnes âgées. Âme charitable à la générosité intarissable, Judith joue un rôle central dans la vie d’Oli, pour qui elle devient à la fois confidente, enseignante, et mère. Par sa grande sensibilité, elle a tout pour rappeler la force de caractère de certaines femmes qui ont vu le jour sous la plume de Michel Tremblay.
Grâce à l’oralité bien sentie des dialogues, il est facile de s’immerger au cœur de ce village. Pourtant, à la lecture, j’ai senti que cette histoire se rapporte à plus qu’un village. On a affaire à une intrigue qui pourrait se déployer en tout temps et en tout lieu, dans laquelle les personnages sondent les limites de l’altruisme et découvrent diverses solutions pour contrer la misère. C’est avec le sourire que j’ai terminé cette lecture, me disant que Paul Beaulne offre un roman qui rappelle – parmi d’autres grandes vérités – à quel point ça prend tout un village pour élever un enfant.