Exclusivité Web

Lettre d’amour à…un jeune policier

Par Martin Forgues le 2022/07
Image
Exclusivité Web

Lettre d’amour à…un jeune policier

Par Martin Forgues le 2022/07

Cher jeune policier,

D’abord, sache que je ne t’en veux pas personnellement d’avoir joint la force constabulaire. 

Moi aussi, à 18 ans, j’ai été naïf. Je me suis enrôlé dans l’armée en m’imaginant me battre du bon côté des choses et de l’Histoire.

C’est ça, être jeune – notre idéalisme est trop souvent mal guidé par manque de perspective et l’arrogance inhérente à la jeunesse.

Car si le tournant du siècle est venu bousculer la culture et la politique militaire du pays, ce fut la même chose pour la police, quoique je doute qu’on t’ait parlé de l’agenda particulier de ceux qui dirigent l’appareil policier.

J’y reviendrai – en attendant, laisse-moi t’expliquer pourquoi, comme te dirait Hannah Arendt (dont je te suggère la lecture), tu es devenu un peu malgré toi victime de la banalité du mal.

Parlons d’abord du début de ton rite initiatique – ils appellent ça ta «formation», mais c’est bel et bien un rite. Dès le début de la phase collégiale, on te place à part des autres étudiant.e.s de ton cégep qui, lui, t’a sélectionné sur la seule base de tes notes au secondaire. Qu’en est-il de ton jugement, ton sens critique, ta capacité à t’adapter à des situations rapidement changeantes, ton degré de sociabilité, bref, toutes les qualités innées qui pourraient rendre les agents moins bêtes et moins enclins à obéir aveuglément à n’importe quel ordre reçu, même illégitime?

Non, pas important. Pire, certains de ces traits pourraient nuire à « la bonne marche » du maintien de « l’ordre public ». Imagine un peu le chaos s’il fallait que les agents dénoncent en bloc la corruption politique et morale de l’institution et de ses dirigeant.e.s! Imagine la panique morale s’il fallait qu’on t’ait doté des outils cognitifs nécessaires pour lire entre les lignes et pour voir que, la plupart du temps, tu travailles à réprimer des gens et des organisations qui travaillent pour le bien commun et donc contre le pouvoir qui lui s’est mis au service du grand capital et des lobbyistes qui ont vendu leur âme au diable pour une (grosse) poignée d’argent.

On te place à part dès le début, donc, pour insister sur le fait que toi et tes collègues n’êtes pas des « civils » comme les autres.

En Inde, on te dirait que tu fais partie d’une caste. Cette ségrégation rend la suite plus facile : sous prétexte de faire respecter la loi, on t’apprendra à réprimer toute forme de dissidence politique et sociale, on t’enseignera selon le principe philosophique voulant que tout citoyen lambda est potentiellement un criminel et que la société est en insurrection permanente, faisant de la police le seul rempart contre le chaos.

Sauf que la loi, souvent, ne concerne en rien l’intérêt des citoyens, mais plutôt celui des dirigeants et du système qu’ils servent.

Souviens-t’en, je te prie, quand on te demandera de donner l’assaut sur des barricades de militants autochtones, de procéder à l’arrestation de masse de manifestant.e.s ou quand tu diras à un.e journaliste que sa carte de presse « ne vaut plus rien ».

On appellera ça « la sécurité publique ». Tu remarqueras cependant qu’on n’appelle pas ça « la sécurité du public ». Pourtant, c’est cette dernière que tu t’es engagée à servir quand on t’a assermenté, donné un badge, une arme et tous les pouvoirs qui viennent avec.

Tu sais, mon père était policier. Il savait et acceptait la contrepartie de ce contrat. Il savait en prenant la route pour son quart de travail qu’il voyait peut-être la maison disparaître de son rétroviseur pour la dernière fois. Tout comme moi, lors de mon service militaire, je savais et j’acceptais les implications quand je voyais mon pays ou mon camp de base disparaître de l’horizon chaque fois que je me suis envolé vers mes missions.

Malheureusement, la nouvelle génération de policiers, appuyée par les nazillons qui dirigent vos syndicats, voit votre travail comme celui d’une milice paramilitaire qui doit pouvoir profiter de toute l’immunité que confère votre monopole sur la violence légitime.

Ils veulent le gun, l’argent du gun et le cul de l’armurière.

En cette époque fascisante où l’État devient de plus en plus autoritaire face aux mouvements sociaux d’opposition, de plus en plus radicaux et de plus en plus légitimes, tu deviens donc, par cette prise de conscience qui, je l’espère, t’atteindra, le rempart non pas face au chaos social, mais face à l’aboutissement logique de décennies de capitalisme sauvage qui termine ces jours-ci le saccage de ce qui nous reste de communauté humaine.

Je te souhaite beaucoup de courage – tu en as, c’est ce qui t’a mené vers ton choix de carrière, sers t’en seulement à bon escient.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager l'article

Image

Voir l'article précédent

La décriminalisation des drogues

Voir l'article suivant

Bienvenue chez nous!