
On en parle de plus en plus, mais pas assez. C’est un sujet polarisé et polarisant, mais fondamental. Si une majorité de plus en plus large de citoyens, d’élus, de médecins de santé publique, d’experts en dépendances, de scientifiques et de policiers y sont favorables, c’est parce qu’elle se rend à l’évidence : non seulement la prohibition et la guerre à la drogue ont échoué à atteindre leurs objectifs, mais elles entrainent dans leur sillage des dommages collatéraux incommensurables.
Pourquoi et en quoi décriminaliser les drogues serait favorable à la santé publique? La criminologie et les sciences politiques sont des sciences complexes qui nous montrent parfois que des idées qui semblent logiques, comme interdire un comportement à risque ou dangereux, ne fonctionnent pas toujours comme on pourrait le croire.
En effet, la dissuasion visée par des peines très sévères comme l’emprisonnement à vie ou la peine de mort est minime contre des comportements ancrés dans l’existence humaine. De plus, même si ce comportement caché est présent dans toutes les couches de la société, ce sont surtout les populations marginalisées (racisées, en situation de pauvreté, d’itinérance, ayant des problèmes de santé mentale, etc.) qui font l’objet de procédures judiciaires.
Mais surtout, il est de plus en plus reconnu, qu’au même titre que le statut socioéconomique, la stigmatisation dont font l’objet les personnes qui consomment des drogues est un déterminant social de santé. Cette stigmatisation, directement causée par nos lois et politiques, est responsable d’une très grande partie des conséquences associées aux drogues et en ce sens, doit devenir une priorité de santé publique pour améliorer la santé des populations, bien avant la réduction de la consommation de drogues qui, lorsque problématique, est bien souvent la conséquence d’autres déterminants sociaux de santé comme la pauvreté, les problèmes de santé mentale, etc.
Quand on analyse une politique, il faut non seulement en mesurer les effets bénéfiques, mais il faut aussi en mesurer les effets néfastes et les dommages collatéraux, intentionnels ou pas. C’est cette analyse rigoureuse, qui n’est pas nouvelle, qui montre clairement que les avantages de la criminalisation sont presque inexistants. En effet, si la criminalisation pouvait en dissuader quelques-uns, les effets pervers qu’elle produit sont d’une ampleur et de nature largement plus graves : surdoses, stigmatisation, accès réduit aux soins, à l’emploi, au logement, droits bafoués, etc.
Plusieurs se demandent si la décriminalisation ce n’est pas « d’envoyer le mauvais message » et banaliser les drogues, particulièrement auprès des jeunes. Il y a certes un risque, mais, encore une fois, largement compensé par les avantages de la décriminalisation. Et nous envoyons aussi un autre mauvais message en criminalisant les drogues : que l’alcool est à privilégier alors que ce n’est souvent pas le cas. D’autre part, il est courant que des produits de consommation ou des comportements comportant des risques soient autorisés sans pour autant que tout le monde pense que c’est bon pour la santé : fast food, sel, sucre, etc.
Le diable est dans les détails
Certains adeptes de la décriminalisation souhaitent remplacer le contrôle pénal par un contrôle médical en « pathologisant » les consommateurs afin qu’ils soient traités de manière obligatoire ou punis autrement. Tandis que d’autres, notamment les directeurs régionaux de santé publique du Québec et les usagers de drogues, réclament une décriminalisation qui ne soit pas punitive, qui met les personnes utilisatrices de drogue au cœur des réformes et qui soit assortie d’un accès accru aux services sociaux nécessaires.
La répression empire la situation
On pourrait croire que la société se porterait mieux sans drogues, qu’il faudrait être plus sévère, investir davantage dans la répression, mais les données scientifiques sont claires : ces stratégies ne font qu’empirer la situation. Alors que nous sommes incapables d’éradiquer les drogues même en prison, certains croient que nous pourrions y arriver dans toute la société? Non seulement cette idée est complètement déconnectée de la réalité, mais voulons-nous vraiment vivre dans un État policier?
Légalisons toutes les drogues
Certains pensent qu’il s’agit d’un cheval de Troie vers la légalisation des drogues. Mais bien sûr! C’est aussi ce qu’une analyse rigoureuse et poussée montre : la décriminalisation ne suffit pas, car elle ne règle pas plusieurs des problèmes fondamentaux auxquels nous devons faire face comme le contrôle de qualité, la stigmatisation, la violence des marchés, etc. Si cela peut sembler une idée saugrenue, la légalisation du cannabis nous montre pourtant que les politiques en matière de drogues y sont pour peu dans les profils de consommation, mais pour beaucoup dans la qualité de vie et les impacts sociaux. Et bien sûr, légaliser ne signifie pas de rendre disponible l’héroïne au dépanneur; plusieurs modèles, entre des marchés contrôlés par des organisations criminelles et des multinationales, axés sur la santé publique, peuvent être envisagés.
En somme, criminaliser des consommateurs est une politique des plus absurdes, car ceux qui ne nécessitent pas de traitement, soit la majorité, voient leur vie détruite, alors qu’ils ne nuisent à personne, et qu’une minorité qui aurait besoin d’aide se voie punie plutôt que soutenue. C’est aussi absurde parce que les problèmes de drogues découlent largement d’une société addictogène et de facteurs systémiques tels les inégalités économiques propres au néolibéralisme.
Et si la prise de drogue comporte effectivement des risques, c’est aussi le cas de plusieurs autres comportements pourtant admis socialement.
Toute approche négligeant de reconnaître que l’usage des drogues est là pour rester et qui mise sur une distinction entre drogues légales et illégales est stigmatisante et nuisible.
La décriminalisation est un minimum autour duquel un très large consensus s’est développé. Mais si la décriminalisation signifie l’abolition des sanctions criminelles, d’autres sanctions ou des conditions à respecter peuvent être imposées. Tant qu’il y aura des sanctions, une médicalisation de l’usage et des traitements obligatoires, les effets pervers se maintiendront et la stigmatisation suivra son cours.
Pour reprendre les propos de Justin Trudeau, la décriminalisation n’est pas une panacée. L’inaction est cependant inacceptable!