
Probant/probante, adjectif. (De probare, prouver). Concluant, convaincant, décisif, démonstratif, éloquent, parlant.
D’ici peu, les cloches sonneront le retour à l’école, mais aussi le retour des débats entourant l’amélioration de l’éducation. Afin de persuader que leur argument est fondé, les défenseurs d’une thèse ou d’une autre frapperont leurs arguments d’un sceau de scientificité : « Il faut se baser sur des données probantes. » Probantes pour qui? Ce qui m’énerve, c’est le rôle joué par la science et par les dépositaires des données qui en proviennent ainsi que l’absolutisme avec lequel on pare un certain type de données.
D’abord, la validité d’une conclusion scientifique est conférée par la façon de l’obtenir et par l’absence de biais. Or, pour marteler l’argument et par un retournement intellectuellement malhonnête, on fait des données probantes les seules données qui soient profitables. Reléguer toutes les études scientifiques qui se fondent sur l’induction, sur la recherche collaborative ou sur les savoirs expérientiels dans une catégorie inférieure (pensez ici aux sciences « molles », comme la sociologie ou la didactique) sous prétexte qu’elles ne répondent pas totalement aux canons scientifiques des sciences pures est démagogique.
LA GRENOUILLE PLUS GROSSE QUE LE BŒUF
Pour donner du lustre aux sciences de l’éducation, pour les rendre sérieuses aux yeux des décideurs en éducation au Québec et en Ontario (c’est toujours préférable de dire que c’est ce qui se fait en Ontario, c’est convaincant), les chercheurs feront appel aux méta-analyses. Ils évoqueront le professeur néo-zélandais Hattie qui a réalisé des recherches sur plus de 800 méta-analyses (il a effectué une recherche sur des recherches…) qui résument plus de 50 000 études. Il a publié une synthèse de son travail dans un livre devenu le Saint-Graal. 250 millions d’élèves sont concernés par ces recherches sur la réussite et l’apprentissage. Pour lui, 138 facteurs d’influence agissent en éducation. Plus près de nous au Québec, Steve Bissonnette a procédé de la même façon. Ce qu’on ne dit pas, c’est que des universitaires de McGill ont réduit en pièces les résultats et le procédé de Hattie1.
SCIENCES PURES ET SCIENCES MOLLES : LÀ AUSSI L’ARGENT MÈNE LE MONDE
L’omnipotence sied aux sciences pures comme un gant, pourtant ces sciences n’avaient-elles pas statué voilà quelques décennies sur l’absence de plasticité des neurones2? Sur l’impossibilité pour une particule atomique d’être à deux endroits3 à la fois? Deux conclusions aujourd’hui contredites. Elles s’égarent donc elles aussi et, à cet égard, je vous recommande le livre Le cygne noir : la puissance de l’imprévisible.
Est-ce par ignorance ou par duplicité que les politiciens et les vulgarisateurs évitent de préciser que les données probantes résultent d’un dispositif scientifique très précis, celui de l’essai randomisé contrôlé, dispositif prisé en médecine et en sciences pures, mais impossible à mettre sur pied en sciences de l’éducation4 ? Les sciences pures disposent certes de cet outil pour réduire l’incertitude de l’interprétation, mais il n’y a pas pour les sciences « molles » de dispositifs expérimentaux équivalents. La seule façon de réduire l’incertitude des résultats obtenus par exemple en sociologie, en anthropologie, en éthologie ou en psychologie est de multiplier les observations, ce qui ne rend pas ces sciences « moins bonnes ». Observer mille enseignants à l’œuvre en classe pour réduire l’incertitude sur l’interprétation d’une pratique gagnante serait l’idéal, mais obtenir le financement pour le faire est impossible. On se cantonne donc à l’analyse des résultats scolaires pour déterminer les meilleures pratiques en éducation. Mais voilà, on ne devrait pas évaluer la qualité d’une méthode éducative uniquement par des analyses statistiques sur les notes des élèves inscrites au bulletin. Il faut aussi évaluer la relation prof-élève, la relation prof-parent-élève, puis la relation prof-parent-élève-classe, puis… C’est bien plus complexe qu’un résultat figurant sur un relevé de notes.
QUE FAIRE?
Il faut d’abord être conscient que les données probantes ne sont pas le seul type de données existantes et savoir que des milliers de recherches en éducation produisent des données primordiales pour l’amélioration du système, mais qu’elles sont ou ont été déconsidérées puisque jugées moins probantes.
Québec consacrera 6,1 milliards aux infrastructures en éducation durant les prochaines années (ajout de classes de maternelle et construction de lab-écoles). L’esprit ne peut se représenter ce qu’est un milliard, mais faites confiance à l’enseignante, elle le peut. Demandez-lui ce qu’elle ferait de cet argent pour améliorer l’école et, de grâce, écoutez-la batinse, mais ne discréditez pas son savoir expérientiel sous prétexte que cette donnée n’est pas probante!
Il nous faut admettre que l’acte d’enseigner ne peut être parfaitement circonscrit et paramétré. Cet acte se fonde fréquemment sur des feelings, des intuitions et constamment sur de l’intangible, ce qui n’en fait pas de la sorcellerie. Dans la vie, il n’y a pas que des sciences pures! Il faut aussi savoir faire confiance. Je ne comprends pas tout au mouvement des astres, mais merde, ça marche!
1. Pierre-Jérôme Bergeron, « Comment faire de la pseudoscience avec des données réelles : une critique des arguments statistiques de John Hattie dans Visible Learning par un statisticien », Revue des sciences de l’éducation de McGill, vol. 55, no 2, 2016, https://tinyurl.com/3wvra3bb
2. François Ansermet et Pierre Magistretti, À chacun son cerveau, Odile Jacob, 2004, https://tinyurl.com/mwrkf8na
3. Wikipédia, « Principe de superposition quantique », 2022, https://tinyurl.com/2p8hppty
4. Frédéric Saussez et Claude Lessard, « Les données probantes, un nouveau dogme? », Le Devoir, 22 décembre 2016, https://tinyurl.com/ycx6cs59