Exclusivité Web

Et Dieu a dit : Je demande le décorum

Par Fred Clermont et Maxim le 2022/07
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Exclusivité Web

Et Dieu a dit : Je demande le décorum

Par Fred Clermont et Maxim le 2022/07

Ce matin, c’est une colère spéciale qui parfume notre réveil. Une colère colorée d’écoblanchiment et de loyers payés trop cher mélangés à un mépris patriarcal de nos élu·e·s.

Lundi, le 18 juillet, avait lieu la deuxième occurrence de la performance artistico-militante de Fred Dubé à la microbrasserie Le Bien le Malt: Le pacifisme va nous tuer. Un spectacle poétique et humoristique suivi d’une marche de santé militante (parce que marcher et envoyer chier une police chaque jour ravive le cœur pour toujours) vers l’hôtel de ville.

Armé·e·s seulement de nos cagoules, d’un simple mégaphone et de notre indignation, nous sommes accueilli·e·s par des agents de sécurité qui nous laissent passer, mais qui nous confisquent notre mégaphone et tentent de nous faire enlever nos cagoules malgré notre refus de se découvrir. Portée seule, la cagoule est un outil qu’on associera au voleur ou au terroriste qu’il revêtira pour s’anonymiser, se cacher. Portée en groupe, la cagoule est un accessoire de vérité, sans hiérarchie sociale, un accessoire qui permet à la collectivité de se lever et de laisser de côté son individualité. Nous ne sommes plus moi, toi, ellui·lui·elle, mais un Nous uni pour une cause commune.

Nos revendications étaient concrètes: la ville doit mener des actions pertinentes et suffisantes contre la crise du logement et la crise climatique. Et ce, de manière intersectionnelle, car sans justice sociale il n’y a pas de justice climatique. Nous sommes présent·e·s pour ouvrir le dialogue et trouver des solutions convenables, si vous voulez bien nous écouter.

Le maire n’a pas dû aimer que la première performance de Fred fonctionne, car immédiatement il impose un décorum que lui-même définit pour nous forcer à retirer nos couvre-visages. Voyant notre refus, le Maire sort. Avait-il peur? Devait-il aller changer sa culotte d’incontinence de pouvoir? Craignait-il les représailles de son inaction politique dans les besoins primaires de sa population?

Nous attendons, nous sommes patient·e·s, les militant·e·s. Un cercle de paroles s’est formé entre les individus déjà présents, cagoulés et non-cagoulés, dans le silence des dirigeant·e·s où l’on a rapidement trouvé des priorités et des inquiétudes communes.

Le Maire fait des va-et-vient entre la toilette et la salle de conseil, seulement pour nous demander chaque fois de retirer nos couvre-visages ou de quitter. Il nous l’a même dit, lui aussi, il a manifesté à notre âge! Il est comme nous ce maire! Il nous comprend parce que Monsieur le Maire a été exactement à notre place. Eh ben! Moi je me demande ce qui se passe dans un parcours de vie pour qu’on passe de militant·e engagé·e·s à s’asseoir dans le confort du divan institutionnel.

Parlons décorum. Depuis quand un morceau de vêtement change nos opinions ou nos expressions? Si nous portons un veston, vous nous respecterez, nous écouterez. Si nous portons une cagoule, nous serons discrédité·e·s et vous en profiterez pour fuir.

Puis vous nous dites que ça dérange l’ordre public. Quel public? Ne faisons-nous pas partie du public, Monsieur le Maire? De votre population? Pourquoi essayez-vous de nous diviser? Ne vous êtes-vous pas demandé où est-ce que vous avez manqué pour qu’elles·ils·iels se présentent dans votre salle de conseil cagoulé·e·s?

Me vient une autre question. Je l’ai depuis un petit moment, mais il est si difficile d’accéder à notre maire que jamais n’était venu de réponse. Je lui demande: « Où était-il lorsque des étudiant·e·s manifestaient, dix vendredis consécutifs devant l’hôtel de ville, à revendiquer une transition écologique intersectionnelle? ». Il ne m’a pas répondu où il était, il m’a rétorqué que si on voulait lui parler, on n’avait qu’à venir aux conseils de ville. Ah oui, ce même conseil où nous nous trouvions alors. Celui dans lequel il refusait de nous écouter sous le simple prétexte d’une cagoule. Celui où l’on a appelé la police pour faire sortir un public pacifique et inquiet pour son avenir. Sauf que, Monsieur le Maire, on était là aux précédents conseils de ville, décagoulé·e·s. Est-ce que vous nous avez écouté·e·s?

Monsieur le Maire, une autre question pour vous. Quand est-ce que nous en ferons assez? Quand les étudiant·e·s laisseront de côté leurs cours du soir, leur travail qu’elles·ils·iels doivent occuper pour payer leur loyer trop cher payé, ou leurs enfants à border, tout dans le but d’essayer de vous parler? Quand nous composterons, recyclerons et utiliserons nos bicyclettes pour aller au travail ? Lorsque nous enfilerons manifestations et marches après manifestations et marches? Quand nous aurons fait tout cela, vous mous écouterez-vous? Ou bien trouverez-vous une autre raison pour refuser de passer à action?

Peut-être que vous nous entendez, que vous prêtez une oreille inattentive en attente d’une prise de photo qui vous apportera un quelconque soutien politique sous laquelle vous écrirez : Ah, mais quel courage elles ont ces étudiantes! Puis en cliquant sur Publier vous vous pencherez sur un nouveau projet immobilier de condos de luxe pour vous soulager de cet insidieux sentiment que vous procure cette générosité d’entendre des jeunes parler de leurs préoccupations.

Voyez les actions que votre ville pose sans attendre votre bénédiction. Voyez les citoyen·ne·s en héberger d’autres par manque de logement, les étudiant·e·s garnir des réfrigérateurs collectifs, des jeunes ramassant les déchets des terrains commerciaux. Voyez les étudiant·e·s cultiver des légumes pour elleux et leur collocation, ces friperies mobiles et gratuites, ces campagnes de sensibilisation, ces incitations à la marche ou au vélo.

Voyez des femmes qui craignent de devoir rester chez un conjoint abusif à raison de payer l’absurde montant de 100$/semaine pour être hébergées, des enfants qui s’inquiètent pour leur futur, qui se demandent ça donne quoi d’étudier quand tu ne sais même pas si tu pourras un jour faire la carrière de tes rêves, des personnes qui attendent la peur au ventre de se faire évincer par leur propriétaire, des étudiant·e·s qui se demandent s’ils·elles·iels arriveront à la fin de leur mois à payer une épicerie équilibrée. Voyez des gens vivre dans des conditions insalubres parce que les propriétaires sont plus occupés à compter l’argent dans leur portemonnaie que d’entretenir leurs logements alors que le comité logement se bat pour un registre de loyer. Voyez cette ville mobilisée qui lutte pour un transport en commun abordable et efficace alors que vous coupez des arrêts comme si aucune vie n’en sera touchée.

Regardez-nous en face, voyez notre volonté de changer les choses, d’améliorer notre quotidien et celui des autres.

Regardez-nous en face et osez nous demander de retirer notre masque.

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