
Cher Éric,
Je peux te confirmer que tu m’es cher. Effectivement, si ta vision d’une société complètement privatisée se réalise un jour, tu nous auras coûté très cher.
En tant que disciple indéfectible de Miss Maggie Thatcher, tu dois penser que la société n’est qu’une vulgaire vue issue de l’esprit malade de gauchistes qui veulent juste opprimer le peuple avec des calamités comme l’assurance-maladie et un système d’éducation public.
Car l’amour que je te voue, Éric, c’est un amour romantique à te détester, toi et tout ce que tu représentes. Car on va se le dire, avant d’être un communicateur et maintenant un politicien, tu demeures avant tout un mercenaire. Et en tant qu’ancien militaire qui a vu de proche la privatisation sauvage de la guerre et la multiplication des soldats à gages, je les reconnais de loin.
Et je les haïs.
Parce qu’un mercenaire, ça marche au fric, ça vend sa loyauté au plus offrant, et le plus offrant n’est jamais du bord des opprimées, mais toujours de celui des oppresseurs. Un mercenaire ne possède ni valeurs ni principes fondamentaux, il modifie son offre en fonction du client.
Tu devrais pourtant le savoir, car toi-même tu t’es mis au service de l’impérialisme américain en allant travailler en Irak pour le National Endowment for Democracy, un organisme américain principalement financé par USAID, l’agence créée pour offrir une vitrine humanitaire aux opérations occultes et aux guerres illégales et clandestines de la CIA. Fais tes recherches si tu me crois pas, mais je me doute que tu étais parfaitement au courant et ça fait de toi un être encore plus ignoble.
Et pendant que toi et tes collègues, mains dans la main avec les criminels en complet de Halliburton et Exxon Mobil, importiez en Irak le chaos politique qui a finalement mené à la naissance de l’État islamique, des frères et sœurs d’armes à moi, souvent des petits chômeurs de 20 ans, souvent issus des communautés racisés, enrôlés par la force de leur misère causée par ton autre idole, Ronald Reagan. Ces petits chômeurs devenus soldats crevaient dans le sable à 10 000 kilomètres de la maison que le huissier au même moment venait arracher à leurs famille.
La guerre des riches, pour les riches, par les riches.
Puis, t’as décidé de te lancer dans les communications. Québécor t’a ouvert grand ses pages, à une époque où leur ligne éditoriale se campait solidement à droite. Au bon endroit, au bon moment.
Pendant ce temps-là, tu tissais aussi des liens avec Ezra Levant, lui-même le perroquet de l’extrême-droite albertaine, de l’industrie pétrolière et du sionisme canadien. Tu t’alliais avec Joanne Marcotte et Ian Sénéchal, un gars qui confond ses chroniques avec des publicités pour ses services financiers, pour lancer le Réseau Liberté-Québec (RLQ). Vous avez soutenu l’ADQ de Mario Dumont, jusqu’à ce que le parti frappe le mur de la sagesse commune qui les voyait pour ce qu’ils étaient : des bouffons. La CAQ? Vous avez rapidement trouvé qu’ils étaient trop communistes à votre goût. Ah, et entre-temps, le RLQ s’est effondré sous le poids de sa propre médiocrité.
Et quelque part autour de cette période, tu es allé vanter le « miracle chilien » de Pinochet en commission parlementaire. C’était assez inquiétant comme vision moralement corrompue de modèle politique que t’as même fait peur à Sam Hamad. Fallait le faire!
T’as monnayé ta nouvelle notoriété acquise à coups de jappements médiatiques pour aller inaugurer un fiasco annoncé : Radio X à Montréal. La plogue s’est tirée elle-même du mur, mais après t’as réussi à te faire engager à Cogeco! Tes nouveaux patrons semblaient te trouver des qualités. Un vrai charmeur de serpents ! Mais si le crotale te mord, c’est lui qui s’empoisonne.
Savait-on chez Cogeco que t’allais te rendre en France en 2015 pour « couvrir » les attentats de Charlie Hebdo pour Rebel Media, la dernière patente médiatique crypto-fasciste de ton chum Ezra? Savait-il que tu colportais des médias-mensonges, pour reprendre l’expression de Michel Collon, à propos des réfugié.e.s qui fuyaient des guerres dont tu es indirectement responsable en disant que la mauvaise information valait mieux que pas d’information pantoute? En tout cas, ils t’ont pas mis dehors assez vite.
Et te voici maintenant à la tête du Parti Conservateur du Québec, ceux qui, il y a quelques années, se servaient des pires clichés à propos du monde sur le BS pour se monter une clientèle. Depuis ton arrivée au parti, vous avez franchi le cap des 12% dans les sondages. T’as fait mentir l’ensemble des analystes qui te voyaient te planter.
Tu m’as fait mentir.
Moi qui, pourtant, ne tombe pas dans le même piège que les patrons d’Urbania qui t’avaient offert une job parce que t’avais l’air bin funny pis edgy. Moi qui ne te sous-estime pas.
Et c’est là le danger que tu représentes. Tu capitalises sur la politique du ressentiment, tu t’alimentes des émotions négatives exprimées par un peuple sombrant dans une sorte de fatigue démocratique. Tu t’arroges même des thèmes traditionnellement associés à la gauche politique comme la lutte contre la corruption d’une élite cherchant avant tout, en cette période de déclin civilisationnel, à consolider ses privilèges.
Sauf que quand tu dis à l’électorat que tu « vas leur redonner leur liberté », tu utilises une des plus vieilles et plus sales tactiques politiques : le bait and switch.
Tu proposes de démanteler un système corrompu mais, comme ces compagnies qui achètent des entreprises en faillite, tu vas le réduire à néant pour mieux le vendre à tes maîtres : le privé et le complexe énergie-extractiviste au nom duquel tu livres une bataille sans merci contre les étudiant.e.s, les gauchistes, les syndicats et, ton pire ennemi, les «enverdeurs».
Bref, comme en Irak, tu t’es donné comme mission d’importer la démocratie américaine au Québec.
C’est à se demander pour qui tu travailles réellement.