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Lettre d’amour au poème

Par Myriam de Gaspé le 2022/04
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Lettre d’amour au poème

Par Myriam de Gaspé le 2022/04

Avril, enfin.

Le mois du (presque) printemps.

La poésie, à cette époque de l’année, s’empare des réseaux sociaux pour le #NaPoMo, le National Poetry Month (ou #MoNapo en français). Pour les poètes, c’est l’occasion de composer un poème par jour jusqu’à la fin du mois — un poème pour jouer, se faire la main ou écrire, qui sait, la première version d’une suite à paraître dans une revue littéraire.

J’aimerais saisir le moment pour parler de la poésie ; de ce qui, en elle, est si nécessaire.

Pourquoi une lettre, qui n’en est pas une, adressée au poème ?

Disons pour commencer que pour faire une langue, il faut une grammaire. Des signes facilement déchiffrables, puis un mode d’emploi pour assurer leur usage. La particularité du poème est qu’il s’écrit avec la langue, bien sûr, mais qu’il dépasse ses codes : il fait sa propre grammaire. « La poésie, ce sacrifice dont les mots sont les victimes », écrivait Georges Bataille. Voilà : le poème est une débâcle, une vraie débarque de la langue.

C’est une bête qui ouvre grand la syntaxe, qui s’insère dans ses interstices.

Dans la langue, le poème respire.

Qu’on y pense : la fin du vers est une respiration en elle-même. Une pause, qui autorise les dérives syntaxiques comme on le fait à l’oral. Quand on parle, il arrive qu’on s’interrompe au gré du souffle pour se reprendre — qu’on change de sens en récupérant notre maille. Ces détours sont le cauchemar de la transcriptrice. Le poème est un cauchemar du même genre.

Le mot est juste. On a peur de la poésie. Peur de ne pas comprendre.

Mais lire un poème, ce n’est pas simplement déchiffrer : c’est entendre. La poésie est une langue qui vise l’oreille. Une langue sonore, faite de jeux et de rebonds, de contrastes et d’affinités. Ce qui compte, c’est le rythme : c’est la longueur du son, les pauses, les répétitions. Le poème sonne. On en fait un slam.

La poésie parle parce que sa langue fait image. En associant mots et symboles, le poème fabrique une vision singulière du monde. Ce que l’image nous fait voir peut faire voir autre chose à une autre. Personne n’a le même arbre, le même oiseau. Lire un poème, c’est imaginer par soi-même.

La poésie est donc cet usage du langage qui malmène la langue, déplace ses codes, expérimente.

Qui sacrifie la lettre, au profit de l’image et du son.

C’est un art qui met à mal son matériau même. Quoi de plus radical ?

Pouvoir innover : voilà ce qui fait du bien quand on lit, quand on écrit un poème. On est libre d’agencer les images, de se faire un rythme, une grammaire en désordre.

Si le poème est une bête, c’est une bête lumineuse, dirait Perrault. En redessinant les contours de la langue, la poésie déplace aussi ceux du monde, en ouvrant d’autres possibles, en laissant entrer un vent frais dans un monde à refaire plus que jamais.

C’est pourquoi cette année, mon #NaPoMo est un rite de passage. Une expérience spirituelle qui me pousse vers le changement. J’observe : la progression de la fonte, la résurgence du varech. Les oiseaux. Avec la nature, j’écris mon poème. Inspirée par les mutations du printemps et par l’innovation des mots que je lis, des mots que j’écris, je me prépare à la suite. Parce qu’il va falloir en écrire, une suite.

Ce sera une suite poétique.

Pas le choix : il faut renverser l’ordre, bousculer ses codes. Inventer l’histoire à venir.

Que resterait-il du poème, pris au pied de la lettre ?

Suggestions de lecture (2022) :

 

–          Frédéric Dumont. Chambre minimum, Les Herbes rouges

–          Maya Cousineau Mollen. Les enfants du lichen, Hannenorak

–          Marie-Hélène Voyer. Mourons des champs, La Peuplade

–          Nelly Desmarais. Marche à voix basse, Le Quartanier

–          Carole David. Le programme double de la femme tuée, Les Herbes rouges

 

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