
Mon John,
Tu permets que je t’appelle John? C’est après tout ton nom de baptême, John James, je ne voudrais pas que notre relation redémarre sur un mensonge, tant celui-ci fut au cœur de notre dernière idylle et je veux que ces retrouvailles nous permettent de repartir sur un nouveau socle, plus solide.
Car tu m’avais blessé, John. Tu nous avais blessés
Déjà, dans notre jeunesse, il y a tant d’années, tu avais la réputation de butiner, de parti en parti. Chaque fois, tu affichais de nouvelles couleurs. Du bleu au rouge, puis maintenant de retour au bleu, mais cette fois avec des nuances de brun. C’est compréhensible, car depuis ta tendre enfance, on t’a préparé à atteindre les sommets. C’était ça l’ultime de ta destination, peu importe le chemin à emprunter, peu importe les compagnons de route que tu côtoierais, même les pires bandits de grand chemin dont tu as fini par constituer ton entourage.
Ils ont déteint sur toi, John, de manière indélébile. Le petit frisé que tu étais, qui rendrait jaloux n’importe quel Saint-Jean-Baptiste de parade, tout sympathique et affable devant les caméras au point où les amuseurs publics qui nous servent de journalistes se trouvaient tout béats en ta seule présence, s’est transformé au contact de ces raclures de fond d’une cuve qui contenait tout l’argent et l’influence dont tu avais besoin pour arriver à tes fins.
Et un jour, comme ça, tu as changé – ou plutôt as-tu dévoilé ta vraie nature, déjà souillée par la cupidité et la soif de pouvoir? Tu l’as bien dissimulé en tout cas, car les mêmes amuseurs publics ont continué à te prendre pour un être si inoffensif qu’ils ont oublié de te demander de rendre des comptes comme il se doit.
Ton pouvoir de séduction est immense. Tu es même parvenu, selon toute vraisemblance, à endormir nos gardiens de l’ordre public qui enquêtaient sur toi et ton entourage de crottés en cravate. On dirait qu’ils ne pouvaient pas croire que tu sois capable d’association de malfaiteurs. Et pourtant…
Quand tu as pu le faire, tu as dit vouloir changer notre monde avec une grande « réingénierie ». Tu te rappelles? Tu voulais arrêter l’hémorragie qui nous saignait après que tes prédécesseurs l’aient éventré au nom de l’équilibre budgétaire.
Tu as plutôt agrandi la plaie pour que s’y infiltrent les microbes en complet trois-pièces qui se multipliaient sur ton scalpel trempé dans le pétrole brut et la poussière de minerai.
Au début, je me suis dit que cette violence, elle était passagère. Tu étais stressé et probablement dépassé par le champ de ruines qu’on t’avait laissé.
Mais les coups se sont multipliés.
Puis, un jour, devenu complètement mégalomane, ivre d’avoir les pleins pouvoirs ou, comme tu le disais, les deux mains sur le volant, tu as eu une vision : notre bonheur et notre salut se trouvait au Nord.
Mais bon, il fallait bien payer pour tout ça, et tu t’étais endetté auprès de tant de crosseurs qu’ils ont fini par te dire à toi comment ça se passerait.
Mais tu as eu une idée de génie : faire payer notre jeunesse! Après tout, tu te disais qu’elle se préparait à l’avenir sans payer sa part et, en plus, elle ne t’aimait pas particulièrement, avec tes idées de privatisation, ton obsession à changer voire lever complètement les règles et ta tendance à vouloir enrichir tes faux amis. Les ingrats!
J’ai essayé de te prévenir. On a même tenté une intervention pour te faire voir ta perdition.
Tu as préféré appeler d’autres amis, ceux-là armés et casqués. Par culpabilité ou lâcheté, on ne saura jamais, tu as délégué ta violence à tes sous-fifres, tes petits suiveux qui demandent juste ça, casser des gueules et rappeler aux petits empêcheurs de tourner en rond qui est le patron.
Je ne peux effacer de mon souvenir toutes ces personnes que tu as pu blesser dans leur corps et dans leur âme, tous ces jeunes hommes et femmes encore porteurs du désespoir dans lesquels tu les as plongé en leur montrant comment ça marche dans le vrai monde, ou plutôt, celui dont tu as décidé de t’accommoder et que tu allais protéger à tout prix.
On te croyait parti te cacher à jamais dans l’univers parallèle des cabinets-conseil et des petits services à grosse facture, mais tout récemment, tu sembles être revenu de nulle part, comme ça, à tes anciennes amours : la quête du pouvoir en tant que prête-nom pour tes vieux compagnons de route, plus riches et pourris que jamais, grâce à toi en tout ou en partie.
J’aurais aimé que tu m’aies aimé autant que tu les aimes.
Mais je ne fais plus d’illusion.
Pourtant, une partie de nous semblons prêts à te donner une autre chance. Faut être masochiste, amnésique ou complètement con.
Je vais devoir, nous allons devoir, par contre, vivre avec le fait que tu es de retour dans le coin.
On verra comment ça va se passer.
Prends soin de toi, le monde dans lequel tu reviens est pas mal plus volatile que celui que tu avais quitté.
Martin, pour le peuple québécois
PS Si tu te penses encore le meilleur intimidateur de la cour d’école, repense tes affaires, ton rival pour le trône bleu-brun joue encore plus sale que toi.