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Le touriste est un dévoreur de monde

Par Fred Dubé le 2022/04
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Le touriste est un dévoreur de monde

Par Fred Dubé le 2022/04

Tout le malheur des hommes est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.

— Blaise Pascal

À quoi sert l’industrie du tourisme de masse sinon à bousiller les écosystèmes pour distraire une petite bourgeoisie qui s’ennuie? Le touriste est un dévoreur de monde, un jouisseur compulsif jetable, un masturbateur fou rêvant de gras, de sel et de vin sucré, un hédoniste sans patience voulant abolir l’espace-temps pour aller le plus loin possible, le plus vite possible, en toute sécurité. « J’adore faire du backpacking en Asie du Sud-Est, ça me permet de visiter mon recyclage. » Écoutez donc un bon documentaire à propos d’un pays étranger assis dans votre salon, c’est plus authentique et enrichissant comme expérience. Le voyageur audacieux contemporain est celui capable de sentir Ulysse dans l’Odyssée d’un grilled-cheese bien fait.

Le monde est exploré sous toutes ses coutures. Trop visité. Touristé en masse. Laissez-le tranquille, le monde. Même le mont Everest est couvert de déchets! Des bonbonnes d’oxygène et des tas d’équipements coiffent la montagne. Le célèbre mont est aussi tapissé de 26 500 livres d’excréments humains fraîchement conservés ainsi que de corps d’alpinistes morts, arborant pour l’éternité la même tronche de connard frigorifiée et apeurée. Cela a valu à la montagne le surnom de plus haut dépotoir du monde. « Un spectacle dégoûtant et répugnant » sont les mots qu’utilisent dorénavant les guides népalais pour décrire l’Everest. Tout ça pour permettre aux touristes de classe supérieure de jouer aux rois de la montagne. Ce dont ont réellement besoin les riches, c’est d’une gardienne pour les empêcher de faire des bêtises. Avouez que la scène serait mémorable. L’amateur de selfie en altitude est là, en train de frimer au campement devant les sherpas qui font tout le sale boulot quand, soudain, il se fait pincer par sa baby-sitter. Surgie de nulle part et sans équipement, une jeune adolescente débrouillarde ayant son cours de RCR ramène le petit aventurier humilié par le chignon du cou jusqu’en bas de la montagne en le grondant. « Pas de chocolat, pas de film, en arrivant à maison, c’est tout de suite dans ta chambre pis dodo! Ça t’apprendra à aller foutre le bordel partout, p’tit con. » C’est aussi ça, la lutte des classes.

Il y aurait 1 % de la population mondiale qui serait responsable de la moitié des émissions de CO2 liées à l’aviation, et 80 % de la population mondiale n’a jamais pris l’avion, mais subit les effets de cet aigle de fer. Au Canada, seulement 22 % de la population effectue 73 % des vols. Faque en premier lieu, c’est même pas les maudits écolos rabat-joie qui empêchent le monde de prendre l’avion, c’est le système économique. Planter des arbres pour compenser les émissions de CO2 du vol sur lequel on se trouve n’arrange aucunement les choses. Tu ne peux pas compenser une pollution quand t’es la pollution. Le seul geste écolo qu’un touriste peut faire, c’est de planter au sol un autre touriste.

« Mais Fred, comprends-moi, je dois aller dans le Sud pour relaxer! » As-tu pensé prendre un bain chaud? Boire une tisane? Jouer de la guitare lance-flammes en hurlant? De toute façon, qui est encore capable de relaxer dans le Sud? Perso, incapable. Même immobile sur la plage, je serais toujours à me demander : « Bon… quels droits humains suis-je en train de bafouer en ce moment? Heille! C’est pas du sable, ça? J’suis couché sur des petites dents de lait! — Effectivement, monsieur. L’hôtel a fait une étude de marché et nos clients aiment mieux les petites dents de lait de bébés salvadoriens. Ça fait plus sable que le vrai sable. Un autre mojito? »

Saviez-vous qu’un saumon est capable d’identifier une seule goutte de sa rivière natale dans une masse de mille litres d’eau de mer? Mais qu’un touriste à Playa del Carmen ne retrouverait pas son propre cul s’il n’attrapait pas la tourista?

La nature a doté l’humain de deux pouces pour tenir un livre et l’oiseau de deux ailes pour tenir la distance. Laissons aux oiseaux migrateurs carboneutres le privilège de voyager. Nous, admirons-les, imaginons leur périple, écrivons des histoires et arrêtons de faire chier la terre entière avec notre envie de nous reposer ailleurs que dans nos cités-dortoirs.

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