
Avec la crise sanitaire, les médias ont propagé un discours plutôt homogène nous laissant dans la quasi-illusion qu’un consensus régnait parmi les scientifiques. Il y eut de rares exceptions où il était possible d’entendre un contre-discours. C’est le cas de l’entrevue avec Alain Deneault par le journaliste Éric Gagnon à l’émission Info-réveil à Rimouski au sujet du Convoi de la liberté.1
À la question posée par le journaliste, pourquoi cette colère et cette quête de liberté?, Deneault répond que nous sommes devant un mouvement de protestation qui a tous les droits de manifester, mais que les médias ont trop souvent réduit à l’extrême droite, au suprématisme blanc, diffamant et caricaturant les manifestants. Ce sont, entre autres, ces attaques déraisonnables qui expliquent la montée de la colère. C’est aussi l’insoutenable charge d’insultes adressée aux non-vaccinées que dénonce Deneault dans un article que l’on peut lire sur le site du média Pivot2, une coopérative de solidarité qui propose de « réinventer le journalisme pour lui redonner son pouvoir de transformation sociale ».
Deneault soutient dans cet article que nous sommes devant une crise de confiance à l’égard des médias, mais aussi envers l’industrie pharmaceutique, notamment Pfizer, une multinationale qui a été condamnée à plusieurs reprises pour des activités commerciales frauduleuses (notamment pour l’anti-inflammatoire Bextra retiré en raison d’effets secondaires inquiétants ou pour de fausses déclarations sur d’autres produits, des tests d’antibiotiques sur des enfants au Nigeria sans l’accord des parents, etc.).3
Une crise mine également la confiance à l’égard de la science et des scientifiques qui refusent les débats alors que le propre de la science est de susciter le doute et la controverse. C’est la pensée unique, poursuit Deneault, qui s’impose et qui fait de ceux et celles qui osent exprimer une opinion différente de la doxa dominante des complotistes, des individualistes, des antivax, des fascistes. L’attaque du philosophe visait aussi à défendre des scientifiques de renom que les médias ont ridiculisés (je pense à Luc Montagnier, prix Nobel de médecine, découvreur du virus du sida que l’on a ridiculisé quand il a soutenu l’hypothèse d’un virus fabriqué en laboratoire, hypothèse qui s’est révélée par la suite plausible). Des scientifiques que l’on a repoussés à la marge « parce qu’ils pensaient d’une manière hétérodoxe, parce qu’ils n’étaient pas alignés sur l’axe gouvernemental ».
Parler d’une seule voix, qui est le propre des régimes totalitaires, a également suscité la colère. Et on aurait oublié qu’au-delà d’une colère légitime, les manifestants sont aussi des gens qui s’informent, lisent, écoutent les médias. Et Deneault d’ajouter : « qu’ils [les camionneurs] ont le temps de méditer, ils sont capables à un moment donné d’avoir des doutes sur quelque chose, d’avoir des intuitions qui ne sont pas nécessairement fondées, mais qui méritent d’être relayées et d’être aussi accompagnées par des scientifiques qui peuvent leur donner une sorte de résonnance et une sorte de traduction sur le plan des savoirs qui peut se faire publiquement ». Mais c’est tout le contraire qui s’est passé quand, après avoir reconnu l’importance de leur travail, on a demandé aux manifestants de se taire au moment où ils se sont mis à penser, précise Deneault. Et il rappelle l’importance des débats publics sur des questions éthiques et scientifiques qui ont été évacués et auraient pourtant été bénéfiques pour apaiser les tensions, tout en accordant également de l’importance aux inquiétudes et aux opinions.
Je dirais que, devant la trajectoire de la montée du mépris, le Convoi de la liberté a pu compter sur la résonnance conservatrice (avec ses multiples tendances), mais aussi sur la gauche, sur ceux et celles qui défendent des approches alternatives en santé ou luttent contre les dérives du capitalisme, alors que peu d’appuis sont venus de la gauche bien-pensante réfugiée dans la peur de perdre ses privilèges. De toute évidence, il est devenu difficile de donner une opinion contraire à La doxa du Covid (Mucchielli)4 dans la sphère médiatique quand le climat est à la répression et à l’humiliation. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à la journaliste Francine Pelletier qui, à la suite d’une chronique, a donné sa démission quand la direction du Devoir l’a clouée au pilori pour avoir repris les positions du neuropsychiatre Norman Doidge. Une répression jugée inquiétante et dénoncée dans un texte collectif.5
Enfin, il ne fallait pas s’étonner que le Convoi de la liberté mette la lumière sur tous les convois qui circulent à travers le monde et qui ont un impact durable sur nos vies. Il y a bien sûr le convoi de l’industrie pharmaceutique, de l’extractivisme, du consumériste, des GAFAM, de la destruction de la nature et combien d’autres convois tous insoutenables qui menacent l’existence et la survie même de l’humanité.
Au lieu de s’acharner sur le Convoi de la liberté, arrêtons plutôt les convois qui nous conduisent dans l’abîme de la liberté sous la chape de plomb du néolibéralisme.
1. « Regard sur le convoi des camionneurs avec le philosophe Alain Deneault », Info-réveil, Radio-Canada, 4 février 2022.
2. Alain Deneault, « Ostracisme envers les non-vacciné.es : ça suffit! », Pivot, 12 janvier 2022.
3. Jacques Pezet, « Le groupe Pfizer a-t-il été condamné par le passé à des milliards de dollars d’amendes », Libération, 6 janvier 2022.
4. Laurent Mucchielli, La doxa du Covid. Peur, santé, corruption et démocratie, Tome 1, Éditions Éoliennes, 2022.
5. Texte collectif, « Après le départ de Francine Pelletier… », Le Devoir, 11 février 2022.