
En 1989, lors d’une visite officielle, le dirigeant chinois Deng Xiaoping se fait demander, par la presse, quel bilan il fait de la Révolution française, dont on célébrait le bicentenaire. Il a répondu qu’il était trop tôt pour faire un bilan. Malgré le fait que nous ne bénéficiions pas d’une perspective millénaire, il y a tout lieu de tirer quelques conclusions du printemps érable, dix ans plus tard.
Dans un premier temps, 2012 constitue, sans aucun doute, le point d’orgue historique du mouvement étudiant, qui s’est transformé, le temps d’un printemps, en un large mouvement social. Force est de constater, dix ans après, que les associations et fédérations étudiantes, en tant qu’acteurs collectifs, n’ont plus le même poids politique ni la même vitalité. Le puissant mouvement de 2012 s’est atomisé. Certaines grandes fédérations, comme la FEUQ (dissoute en 2015) et l’ASSÉ (dissoute en 2019), ont disparu de la carte. La FECQ a survécu à une campagne de désaffiliations dès l’automne 2012, mais a vu partir certaines associations locales, dont celle du cégep de Rimouski. Plusieurs associations étudiantes sont depuis plusieurs années indépendantes, avec une capacité d’action collective et concertée moindre qu’en 2012. On l’a constaté en 2017-2018 avec la campagne en faveur de la rémunération des stages, qui a connu une mobilisation beaucoup moins forte qu’en 2012.
D’un point de vue politique, la question des frais de scolarité n’est plus un enjeu à proprement parler. Le gouvernement Marois a instauré le principe d’indexation, toujours en vigueur. Il est devenu plus difficile de lutter politiquement contre l’indexation, qui est une augmentation constante, que contre le dégel. L’enjeu de la gratuité n’a pas suscité la même mobilisation depuis.
Toujours dans une perspective politique, le printemps érable marque la fin de l’époque Charest. Si le dégel des frais de scolarité a été l’élément déclencheur du printemps érable, le recours à une loi spéciale (la loi 78) qui limite le droit de manifester, en mai 2012, a mis le feu aux poudres dans la société québécoise, et le mouvement étudiant s’est élargi, dans le vacarme des casseroles. Le premier ministre a dissous l’Assemblée nationale pendant l’été, espérant profiter des beaux jours pour prendre de court l’opposition. Les élections de septembre 2012 renvoient le PLQ dans l’opposition et entraînent la démission de l’ex-premier ministre Charest, mais la victoire péquiste est mince, et le gouvernement Marois minoritaire ne survivra que deux ans, marqué par des virages maladroits (forage pétrolier à Anticosti, charte des valeurs, etc.) 2012 constitue le chant du cygne du Parti québécois, qui est menacé, 10 ans plus tard, de disparaître. Le PLQ, première victime du printemps érable, reviendra au pouvoir en 2014, mais l’arrogance et la déconnexion du gouvernement Couillard auront raison du gouvernement libéral, et le parti est retourné sur les banquettes de l’opposition en 2018 (et y restera peut-être à jamais). On peut dire, en 2022, que les événements de 2012 ont changé le paysage politique du Québec de manière beaucoup plus marquée que ce qu’on aurait pu croire il y a cinq ans.
Il reste un héritage précieux du printemps érable : les jeunes qui ont participé à ces événements. Ces jeunes ont connu des joies et des déceptions très grandes, mais pour plusieurs, l’engagement est demeuré et, dix ans plus tard, on peut les voir à l’œuvre dans plusieurs milieux, mettant à profit leur propre expérience. L’exemple le plus célèbre est celui de Gabriel Nadeau-Dubois, maintenant un politicien aguerri, mais il y en a des milliers d’autres, qu’on retrouve dans des syndicats, des groupes communautaires, des partis politiques, des organisations culturelles, etc. Ces gens ont vécu le printemps érable comme un moment marquant et font aujourd’hui bénéficier leur milieu de leur expérience militante.
Enfin, quelque chose frappe les esprits en 2022 : la différence de traitement entre le mouvement étudiant et les manifestations contre les mesures sanitaires. Les carrés rouges de 2012 ont goûté la répression policière de manière parfois très brutale. On se rappelle le matricule 728 et la manifestation de Victoriaville qui avait mal tourné. Cela contraste avec les images que l’on voit à Ottawa (mais aussi à Windsor ou à Coutts, en Alberta), où des gens ont pu occuper pendant trois semaines le centre-ville, sous le regard placide des forces de l’ordre. Le siège est terminé au moment d’écrire ces lignes, mais personne ne pourra dire que la police a fait usage de force excessive, contrairement à 2012.