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HORIZON POUR CO-CONSTRUIRE UN MONDE JUSTE ET SOLIDAIRE

Par Jean Kabuta le 2021/11
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HORIZON POUR CO-CONSTRUIRE UN MONDE JUSTE ET SOLIDAIRE

Par Jean Kabuta le 2021/11

Sur l’aire culturelle bantoue, qui s’étend du sud du Cameroun à l’Afrique du Sud, une valeur fondamentale est ce qu’on appelle Umuntu (ou une variante de cette forme), et qui signifie « être humain, personne ». Une autre valeur, qui découle de la première, est l’Ubuntu (terme qui présente aussi des variantes) que nous pouvons traduire par « sagesse », « humanité » ou, plus exactement, « art d’être humain ». L’Ubuntu se pose comme idéal, un horizon vers lequel toute personne digne de ce nom est invitée à marcher.

L’Ubuntu propose un système de valeurs qui affecte tous les aspects de la vie et l’ensemble des codes philosophiques et moraux rendant possible la vie en société. Il s’agit d’une qualité présente dans chaque acte humain ayant comme objectif la construction de la communauté, selon le proverbe zulu Umuntu ngumuntu ngabantu, qui signifie que l’homme n’existe qu’à travers l’autre : je n’existe que parce que nous existons, toute vie humaine est reliée à la mienne. Je ne peux donc me concevoir, sur les plans affectif, émotionnel et matériel, comme indépendant de la communauté et même de l’environnement. En fait, l’humain ne réalise son « humanité » que par l’interaction avec d’autres êtres humains. 

L’Ubuntu souligne le rôle primordial de la communauté et des relations interpersonnelles. Valeur par excellence, l’Ubuntu est, avant tout, accueil inconditionnel de l’autre. Il est aussi invitation de l’autre dans ma vie. Si je suis un humain digne de ce nom, je suis aussi capable de me mettre à l’écart, pour laisser une place à l’autre, pour le laisser apparaître.

L’attachement aux valeurs qui constituent l’Ubuntu (humanité, hospitalité, générosité, respect, discrétion, loyauté, empathie, tolérance, compassion, pardon, et gratitude, etc.) permet à la personne de contribuer tant à sa propre réalisation qu’à celle de la communauté. Le développement personnel va nécessairement de pair avec le développement collectif.

La philosophie de l’Ubuntu met la personne et la relation au centre et enseigne comment devenir un être humain digne de ce nom. Elle invite à être bon (à l’intérieur) et à être don (à l’extérieur), selon l’expression de Laurien Ntezimana1. En effet, mon bien-être personnel est une condition pour que je puisse être un don pour les autres. C’est pourquoi je dois prendre soin de ma santé physique, émotionnelle, mentale et spirituelle. « Être don » signifie apporter une contribution positive sur les plans politique, culturel, économique et social.

Cette philosophie vise un horizon vers lequel l’être humain doit marcher pour devenir pleinement humain. Autrement dit, c’est une invitation à devenir chaque jour plus humain. Le cheminement vers l’Ubuntu est générateur de bonheur, plus exactement de bonheur partagé.

UNE SAGESSE COMME ÉCHELLE

Être sage signifie faire preuve d’Ubuntu et de grandeur d’âme. La sagesse est l’échelle qui conduit au bonheur partagé, notamment grâce à certaines valeurs : sens de la dignité, fierté, patience, maîtrise de soi, maîtrise de la parole, résilience, humilité et action.

Sur le plan syntaxique, il est remarquable que le mot Ubuntu comme ses variantes soit habituellement associé aux adjectifs possessifs mon, son, notre, etc. C’est dire que l’Ubuntu est réellement ressenti comme une partie de la personne. En être dépourvu, c’est être incomplet, inachevé !

Quant à l’emploi du terme Ubuntu dans la littérature écrite, c’est sous la plume du poète et écrivain xhosa Samuel Mqhayi qu’on en trouve la mention la plus ancienne, dans le journal Umteteli Wabantu (Porte-parole du peuple) de 1927. L’Ubuntu y est présenté à travers la description déplorable d’un être qui en est dépourvu : « Une telle personne est à plaindre / On doit la pleurer et prier pour elle / C’est une esclave et une prisonnière / Elle est enchaînée de toutes parts / Sa conscience l’a désertée / C’est une misérable petite poule. »

POUR CONCLURE

Évoquons deux cas remarquables du recours déterminant à l’Ubuntu. D’abord, l’Ubuntu est au cœur de la Commission de la vérité et de la réconciliation pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud. C’est parce qu’il était porteur d’Ubuntu que Nelson Mandela a pu serrer la main de son bourreau d’hier et permettre l’émergence d’un État arc-en-ciel. De plus, à la suite du génocide rwandais de 1994, c’est le recours à l’Ubuntu qui a rendu possible la conciliation entre Tutsis et Hutus.

L’Ubuntu comme art d’être humain définit le rôle fondamental des relations interpersonnelles, à travers un ensemble de valeurs qui, promouvant la relation, permettent à la personne de contribuer au déploiement de la collectivité et, par conséquent, à son propre déploiement. Il est l’horizon vers lequel l’Umuntu (la personne) doit marcher, pour devenir chaque jour meilleure et contribuer à l’avènement d’une humanité plus fraternelle, sororale et solidaire.

1. Laurien Ntezimana, n’GO, n° 10, 2013.

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