
« En laissant de côté la question coloniale, les écologistes négligent le fait que les colonisations historiques tout autant que le racisme systémique contemporain sont au centre des manières destructrices d’habiter la Terre. De même, en laissant de côté la question environnementale et animale, les mouvements antiracistes et postcoloniaux passent à côté des formes de violence qui exacerbent les dominations des personnes en esclavage, des colonisés et des femmes racisées ».
— Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale
En cette période de grande incertitude, d’insécurité et d’épuisement généralisé, le repli sur soi semble être la voie la plus salutaire. Rester à la maison, fermer les yeux, éviter de trop penser. Certes, prendre soin de soi est vital. On ne peut se dévouer corps et âme à une cause altruiste – aider les plus vulnérables, préserver nos écosystèmes, agir en faveur d’un monde juste et solidaire – si notre propre santé est précaire, si nous luttons déjà contre nous-mêmes, contre une forme plus ou moins grave d’épuisement ou de dépression. Pourtant, il faut admettre qu’on ne vit pas dans une bulle étanche. Nos pensées et nos actions sont, à chaque instant, influencées par le monde qui nous entoure. Comme le souligne Jean N.S. Kabuta dans ce cahier spécial, « le développement personnel va nécessairement de pair avec le développement collectif » et il en va de même du soin.
De même qu’il est important de reconnaître l’interconnexion permanente entre soi et autrui, il est important d’admettre que l’apparente dichotomie entre les pays enrichis « du Nord » et les pays appauvris « du Sud » est une illusion. Nous vivons tous et toutes sur la même planète et nos réalités sont par conséquent intimement liées, au-delà des frontières et des disparités culturelles ou sociales. Comme le résume bien Malcom Ferdinand : de cette fausse dichotomie résulte une « sympathie — sans lien où les soucis des autres là-bas sont admis sans pour autant en reconnaître les liens matériels, économiques et politiques avec l’ici ». Lorsqu’enfin nous sortons de notre apathie pour exprimer notre solidarité, par des gestes ou des mots, celle-ci est trop souvent maladroite. Marqués et marquées par un héritage colonial, nous adoptons (consciemment ou non) encore souvent une attitude de supériorité méritante et notre élan bienveillant est encore parfois celui d’une charité qui ne considère pas l’autre comme un égal ou une égale digne des mêmes droits fondamentaux. Il est vrai que nous partageons les mêmes enjeux majeurs (l’exemple phare étant les changements climatiques ou la pandémie), mais les impacts ne sont pas vécus avec la même intensité selon notre sexe, notre nationalité ou nos conditions matérielles, par exemple. Nous pouvons partager des solutions communes, mais ces solutions ne doivent pas venir uniquement des Occidentaux (lire ici « hommes blancs hétérosexuels de classe aisée âgés d’environ 50 ans ») si nous voulons réellement dérouter les causes de nos souffrances singulières et communes et intégrer les solidarités qui nous permettront collectivement de sortir nos têtes de l’eau (ou du sable).
Dans Une écologie décoloniale, Malcom Ferdinand écrit : « Des spécialistes de l’environnement prennent régulièrement la parole dans les conférences en faisant comme si tout ce monde [les peuples colonisés et marginalisés], leurs histoires, leurs souffrances et leurs luttes demeurent sans conséquence sur la manière de penser la Terre. En découle l’absurdité d’une préservation de la planète qui se manifeste par l’absence de ceux “sans qui, écrivait Aimé Césaire, la terre ne serait pas la terre”. »
En effet, les femmes, les personnes racisées, les peuples appauvris, etc., sont trop souvent réduits au rôle de « victimes sans savoir ». Dans l’imaginaire collectif occidental, capitaliste et colonial, ce sont des figures subalternes, dominées, qui n’ont pas d’esprit d’analyse, pas d’opinion digne d’être entendue, pas de solutions à proposer pour améliorer l’état du monde. On va même jusqu’à croire, faute de récits contraires, que l’histoire des peuples colonisés commence à l’époque de la colonisation. Auparavant : le néant. On oublie aussi, faute de rappels, que l’histoire des femmes noires au Québec n’est pas qu’une histoire d’oppression et de soumission. C’est aussi une histoire de résistance, de militantisme, et de leadership effacé. Comme nous l’explique Chimamanda Ngozi Adichie, une Histoire unique est un récit dangereux. Au bénéfice de toutes et de tous, laissons-nous inspirer par des idées oubliées ou muselées, des philosophies méconnues, et des imaginaires gardés sous silence. C’est un défi difficile mais nécessaire si nous voulons réellement vivre dans un monde d’égalité, de justice, de liberté et de paix.
Les Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI) se dérouleront tout le mois de novembre afin d’ouvrir des espaces de dialogues et de réflexions autour de la transformation de notre monde. Au Bas-Saint-Laurent, le CIBLES coordonne une programmation régionale avec les citoyens, les citoyennes et les organisations qui souhaitent créer sur le territoire des espaces d’échanges, d’écoute, de sensibilisation et de formation en lien avec la solidarité entre les peuples, l’environnement et la justice sociale.