
La pénétration va de soi, elle semble « naturelle ». Pourtant, comme tout ce qui nous entoure, elle est un héritage sociétal, façonné par la famille dans laquelle nous avons grandi, mais aussi par les journaux, les réseaux sociaux, les films (la pornographie entre autres), etc. L’omniprésence de la sexualité nous pousse à croire que nous sommes sexuellement libres. Mais c’est faux. Au-delà de la pénétration de Martin Page est un manifeste qui rend tangible la cage mentale dans laquelle le sexe et les rapports de genre qu’il engendre sont emprisonnés.
LE DISCOURS DOMINANT
Au-delà de la pénétration s’ouvre sur l’idée qu’il y a, dans notre société, un seul discours possible : «[le sexe,] c’est forcément plaisant et excitant ». Mais qu’en est-il « des désagréments causés par les relations intimes, ou l’absence d’envie pour une pratique »? En effet, nous n’entendons pratiquement jamais parler de l’absence de jouissance, de l’absence de désir ou des inconforts liés au sexe. Et dans les rares occasions où l’on nous en parle, c’est pour affirmer encore et toujours que c’est anormal. Que c’est parce qu’on n’a pas couché avec la bonne personne. Qu’on ne connaît pas suffisamment son propre corps. Certes, beaucoup de personnes aiment la pénétration, mais comme le souligne Martin Page, qui lui-même avoue trouver du plaisir dans cette pratique, « [a]imer un acte n’empêche pas de le questionner ». Sans réflexion, aucun changement ne peut se produire. « Le corps est une partie de l’esprit et si mon esprit emprunte des voies nouvelles, mon corps suit peu à peu […] ».
LE SEXE, UNE BATAILLE POLITIQUE
C’est connu, une relation sexuelle hétérosexuelle prend habituellement fin quand l’homme atteint l’orgasme. Ce qui offre comme modèle « une relation inégalitaire ». Notre chambre à coucher est éminemment politique : dans la perpétuation de la pénétration comme pratique sexuelle dominante, il y a « continuation d’un projet politique de soumission et d’humiliation des femmes ». Peu d’hommes demandent à leur compagne si elle désire être pénétrée. La question ne se pose pas et si elle est posée, une réponse négative provoque du jugement, de la colère, du rejet.
De plus, dans la pratique de la pénétration que les femmes ne désirent pas toujours, le clitoris, organe ayant pour seule fonction le plaisir, est relégué au second plan. « Il est là pour exciter, permettre la lubrification et faciliter la pénétration. » L’orgasme clitoridien interne est beaucoup plus rare que l’orgasme clitoridien externe et pourtant, c’est la pénétration qui domine, qui est la plus souvent présente dans nos rapports sexuels.
VERS UNE SEXUALITÉ IMAGINATIVE
De nombreuses pratiques sexuelles existent en dehors de la pénétration, mais la plupart sont encore réduites à des préliminaires, ne jouent qu’un rôle accessoire ou sont même bannies du simple fait qu’elles ne sont pas « naturelles ». D’ailleurs, il est fréquent que l’utilisation de jouets sexuels et de lubrifiants demeure tabou, notamment entre partenaires hétérosexuels. Il ne faudrait pas intervenir dans l’ordre naturel en facilitant la lubrification pour une pénétration plus douce, ou bien profiter du plaisir que peut procurer un objet phallique en silicone parce qu’on « n’a pas besoin d’instruments » pour faire l’amour. Ces mêmes personnes « n’utilisent jamais aucun outil, [elles] mangent sans fourchette ni couteau par exemple, ne portent pas de lunettes, ni de chaussures, ni aucun habit, [elles] écrivent sans stylo ni ordinateur »? C’est absurde.
Le sexe, c’est la pénétration, oui, mais c’est aussi la fellation, le cunnilingus, frencher, se toucher. C’est le vagin, les seins, le pénis, l’anus, mais aussi les oreilles, le cou, les cuisses, les fesses, le dos. Le corps entier est une zone érogène. Et toujours, nous répétons les mêmes gestes, aux mêmes endroits.
Et si la sexualité, c’était aussi faire l’amour habillé, par des mots, un regard, un massage ou par un simple souffle sur la peau?