
Dans le cadre de cette rubrique, Le Mouton Noir présente une ou un artiste du Bas-Saint-Laurent. Avec l’autorisation de Coline Pierré et Martin Page, Le Mouton Noir s’est inspiré du collectif que ces auteur·e·s ont publié en 2018 aux éditions Monstrograph, Les artistes ont-ils vraiment besoin de manger?, un recueil de 35 questions posées à 31 artistes sur leurs conditions de vie, de travail, de création.
Pour en savoir plus : www.monstrograph.com
Ton autoportrait :
Aimée Lévesque ose reprendre la biographie déjantée qu’elle a présentée à l’Université d’été en lettres et création littéraire de l’UQAR : Aimée aime l’espace qui tient entre la tasse de thé et les mots; elle aime la répétition mais pas du même. Aimee loves the space that holds both tea cups and words; she likes repeating, but not the exact same thing. Emina voli prostor u kojem se nalaze i šalice čaja i riječi; voli ponavljanje, sve dok nije ponavljanje iste stvari. Emine, çay bardağı ile kelimeler arasındaki boşluğu sever; aynı değilse tekrar etmeyi sever. 絵美は、ティーカップと言葉の間にあるスペースが大好きです。彼女はまったく同じことを繰り返さない限り、繰り返すのが好きです。
Que réponds-tu quand on te demande quel est ton métier?
De plus en plus souvent par un éclat de rire. Généralement enseignante ou professeure de langues, parfois réviseure linguistique, pas très souvent entrepreneure. Trop rarement poète.
Créer, c’est quoi?
C’est chercher éperdument l’adéquation entre le monde qu’on perçoit et celui qu’on fait avancer. Ce serait une quête perdue d’avance… si ce n’était le fait que l’imperfection même de nos œuvres nous relie les un.es aux autres.
Quel rapport ton travail entretient-il avec la réalité?
Pour moi la réalité n’est pas le donné, le concret, mais une association libre flottant entre celui-ci et mes sens. La réalité est ainsi toujours augmentée, et aussi vraie; mon travail consiste à l’augmenter davantage, de quelques millimètres, pour en exposer la saveur sans la dénaturer.
Est-ce que parfois tu en as marre?
Souvent. Heureusement, il y a les résidences d’écriture maison et les parenthèses comme celles de l’Université d’été, qui me rappellent la joie simple d’écrire et de me sentir proche de tant d’autres dans cette quête de beauté, de profondeur, de sens.
Qu’est-ce qui te sauve?
Les lignes qui sonnent vrai dans les livres des autres; les questions qui m’amènent à saisir le travail de l’écriture dans un nouvel angle; l’excitation qui s’empare de moi quand à force de transformations géométriques, les mots s’emboîtent finalement, parfaitement.
Qui sont tes alliés?
Les personnes qui me demandent quelle est la meilleure façon de se procurer un livre pour favoriser le profit pour l’auteur ou l’autrice. Celles qui invitent aux lectures, celles qui offrent des cachets. Surtout, celles qui comprennent la ressource essentielle que demande l’écriture d’un livre : beaucoup de temps, de silence. D’autres livres.
Qu’est-ce qui est choisi ou subi dans tes conditions de travail?
Le genre (la poésie) et la forme que prendra le livre sont à la fois pleinement choisis et subis. Le reste (la vitesse d’exécution, le temps alloué au travail, l’argent gagné grâce à l’art, la reconnaissance ou l’oubli) est subi. Je ne connais pas de poètes qui vivent seulement de leur plume sans pratiquer d’autres genres ou disciplines. Pour moi, choisir de le faire voudrait dire subir encore davantage.
Que pense l’enfant ou l’adolescent que tu étais de ton travail ?
Elle serait fière d’avoir publié un LIVRE et rigolerait en y reconnaissant ses aventures de fillette. Elle en décalquerait ou en arracherait les pages pour changer l’histoire. Elle s’étonnerait du style condensé (où sont les sonnets d’avant?), mais comprendrait les agencements d’idées. Elle comprendrait bien plus tôt que moi qu’elle est synesthète.
As-tu vraiment besoin de manger?
Malheureusement, oui.