
La Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine est une région qui fait des jaloux. Les paysages haussent la cote du tourisme estival, mais font aussi le bonheur des habitants. Pourtant, les grandes distances, la fermeture de rangs et de villages, la centralisation des services de proximité pour la Gaspésie et le contexte insulaire des Îles ont représenté des embûches de toutes sortes dans l’historique régional. L’un des enjeux cruciaux est sans contredit celui de la démographie et sa résonance à divers niveaux.
D’abord, rappelons que Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine rime, depuis des années, avec difficulté de rétention des jeunes et d’attraction d’habitants toutes saisons. La région est actuellement la plus âgée du Québec : en 20191, 27,5 % de sa population (près de 90 500 individus) se rangeait dans la tranche des 65 ans et plus, alors que les personnes de moins de 20 ans représentaient seulement 16,1 %.
Le portrait de la migration semble toutefois évoluer : dans les dernières années, et notamment pour 20202, les entrées demeurent supérieures aux sorties. Pour maintenir cette lancée, il faut se pencher sur des facteurs non négligeables touchant l’attraction et la rétention des individus, soit les composantes d’un milieu de vie, écosystème humain à une échelle locale. Le milieu de vie fait référence au logement habité, mais aussi à l’accessibilité des services et des activités de tout ordre, à la possibilité de mobilité, d’implication et d’interactions sociales. Aborder la problématique de la démographie et de ses corollaires par les milieux de vie permet de mettre en lumière les réponses que propose l’économie sociale et les pistes de solution qu’elle pourrait apporter au sortir de la crise sanitaire.
En Gaspésie-les-Îles, la réponse collective fait partie de l’identité régionale. Le modèle extractiviste et les réalités d’une région dite éloignée ont alimenté la volonté de s’associer, pour lutter contre le mal-développement, sous des formes variées, comme le Ralliement gaspésien et madelinot (1991). Une des formes connues, mais peu reconnue, est celle des entreprises d’économie sociale, coopératives ou organismes à but non lucratif.
Ces entreprises participent aux milieux de vie des Gaspésiens et Madelinots depuis des années. Elles sont porteuses d’initiatives sur mesure : transport collectif adapté (TACIM), accès à la culture (Maximum 90, Contes en Îles), accès à l’information locale (CHNC, Graffici), accès à des loisirs et à des activités de toute sorte (Les Traversées de la Gaspésie, Coopérative École Cindy Mae Danse) et accès à des services de qualité selon l’âge (entreprises d’aide à domicile, centres de la petite enfance (CPE)). Toutes ces entreprises permettent des emplois diversifiés, des milieux d’implication et de socialisation et créent des offres intéressantes pour tous, pour vivre pleinement en ruralité. Centrées sur les besoins de la communauté ou des membres et prises en charge collectivement, les entreprises d’économie sociale dynamisent les milieux de vie, du quartier au village!
L’économie sociale apporte ainsi déjà une certaine réponse à la problématique démographique en proposant des milieux de vie intéressants et de qualité. Et pour l’avenir? Il faut d’abord soutenir ces entreprises pour pérenniser leurs actions. Ensuite, il faut faire confiance à leur potentiel d’innovation et d’adaptabilité. S’il semble tout naturel que la relance économique passe par des actions diversifiées dans le spectre public-privé, la reconnaissance de l’apport de l’économie sociale aux dynamiques territoriales est plus lente. Toutefois, des solutions sont connues, expérimentées ou imaginées ici et ailleurs : les coopératives d’habitation ou, tout nouvellement, celles de propriétaires sont des avenues pour réfléchir à l’enjeu du logement dans la région; les CPE répondent déjà de leur mieux au manque de places en garderie, mais manquent de soutien, de souplesse et de reconnaissance pour combler la demande; l’investissement dans les transports collectifs régionaux terrestres et aériens (RÉGÎM, TREQ) est une voie pertinente pour sortir d’une dynamique de gestion par des promoteurs externes; enfin, les partenariats intersectoriels (avec des entreprises à but lucratif, des organismes communautaires, des institutions publiques) sont une voie pour construire ensemble des solutions sur mesure (exemple des frozen meal).
La pandémie ayant révélé les limites et les risques d’une économie mondialisée, et les difficultés vécues en contexte de crise sanitaire, le besoin se fait sentir plus encore aujourd’hui de développer la région à son échelle, selon ses potentiels. Les initiatives locales et régionales foisonnent, mais il faudra être attentif à ce que toutes les forces vives gaspésiennes et madeliniennes soient rassemblées et mises à profit. Si la réponse collective est effectivement une part de l’identité régionale, profitons de la relance pour choisir ensemble l’économie sociale comme vecteur de développement territorial endogène.
1. Institut de la statistique du Québec, Le bilan démographique du Québec, 2020, statistique.quebec.ca/fr/fichier/bilan-demographique-du-quebec-edition-2020.pdf
2. Institut de la statistique du Québec, « La migration interrégionale au Québec en 2019-2020 : une année défavorable aux grands centres urbains, surtout Montréal », Bulletin sociodémographique, vol. 25, no 1, janvier 2021, statistique.quebec.ca/fr/document/migration-interregionale-quebec-2019-2020-une-annee-defavorable-aux-grands-centres-urbains-surtout-montreal