
Décédée en pleine pandémie mondiale, Suzanne Tremblay n’aura pas eu le temps de nous laisser son récit de vie. Son départ fut souligné par le premier ministre du Québec, François Legault, qui a parlé d’une « femme proche de ses citoyens et défenderesse des régions du Québec, particulièrement du Bas-Saint-Laurent », et par d’autres personnes, dont le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, qui a rendu hommage à une « battante1 ». Son récit de vie devait s’inscrire dans la collection « Témoignages et analyses » du GRIDEQ2. Si des urgences l’ont obligée à reporter ce projet, elle avait accepté de participer à l’enquête de Christiane Bélanger auprès de 14 femmes du Bas-Saint-Laurent, parue en 1996 sous le titre Femmes engagées : pour une pratique alternative de développement.
Suzanne Tremblay y rappelait être issue d’une famille montréalaise de quinze enfants et avoir été influencée par une mère excellente gestionnaire et un père libéral qui se « nourrit de politique » et l’encourageait à ne pas « passer dans le moule ». Vivre et grandir dans cette famille l’incite à développer tôt son sens des responsabilités, s’impliquant entre autres dans la Jeunesse étudiante catholique (JEC), disant avoir « appris et intégré jeune la signification, les exigences et la portée des mots solidarité et coopération ». Comme elle l’expliquait, « sortir des sentiers battus, aller de découverte en découverte, prendre des initiatives » sont les valeurs qui la rejoignent.
Elle avait fréquenté le couvent Mont-Royal de son quartier, avant d’entreprendre des études universitaires en pédagogie, obtenant une maîtrise dans le domaine neuf de l’éducation préscolaire. Embauchée en 1970 à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) pour y développer les sciences de l’éducation, Suzanne Tremblay y enseigna près de 25 ans pour ensuite agir durant 11 ans sur la scène politique fédérale, élue députée du Bloc à trois reprises.
Entamée à l’automne 1978 à la cafétéria de l’UQAR, ma conversation avec Suzanne Tremblay fut ponctuée de collaborations académiques, professionnelles ou politiques nombreuses. Embauchée pour des programmes en sociologie et en développement régional, j’ai eu en 1979 la responsabilité de constituer un groupe afin d’élaborer une « réponse » du syndicat des professeurs et des professeures au livre vert Pour une Politique québécoise de la recherche scientifique. Suzanne nous épaulant, nous avons insisté sur la nécessité pour les universités situées hors des grands centres de rendre la formation universitaire accessible, tout en poursuivant une mission de recherche prenant appui sur les cycles supérieurs. En 1990, la loi constitutionnelle canadienne de 1982 ayant été proclamée malgré l’opposition de l’Assemblée nationale, le Québec instituait la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel. Suzanne et moi faisions partie des personnes chargées de produire et de présenter à Matane un mémoire de l’UQAR ciblant l’importance de l’éducation et du développement régional. En 1995, les travaux de la Commission du Bas-Saint-Laurent sur l’avenir du Québec nous réunirent plusieurs mois, pour donner la parole à un millier de citoyennes et de citoyens de nos huit MRC, Suzanne faisant partie des membres de la commission, et agissant de mon côté à titre d’analyste3.
Du côté du GRIDEQ, un colloque sur les villages ruraux menacés était organisé à Trinité-des-Monts en 1988. Le comité formé à la suite du colloque proposa un manifeste, plate-forme d’un rassemblement populaire le 10 juin 1990 à la cathédrale de Rimouski et débouchant sur la création de la Coalition urgence rurale (CUR). En 2009, devenue après sa retraite présidente de la CUR, Suzanne prenait part à la table ronde L’occupation du territoire : raisons et défis (GRIDEQ-CRDT et partenaires, ACFAS). En 2013, elle se joignait à un comité bas-laurentien pour le Rendez-vous de l’innovation bioalimentaire tenu à La Pocatière en mars 2015.
Défenderesse des régions du Québec, on pourra aussi dire de Suzanne Tremblay qu’elle demeura passionnée, courageuse, engagée au service du mieux-être de la population et éprise de justice : ces qualités, et bien d’autres, ont été sources d’une vaillance et d’un itinéraire personnel remarqué et remarquable. Quelques erreurs factuelles? Peut-être, Suzanne disant la « sagesse » encore lui échapper, mais s’efforcer d’« apprendre ». Apprendre pour comprendre, apprendre à apprendre. Apprendre pour s’éveiller à des réalités qui se transforment et que l’on peut avec d’autres contribuer à améliorer.
1. Laurie Dufresne, « L’ancienne députée bloquiste Suzanne Tremblay s’éteint », Radio-Canada, septembre 2020, ici.radio-canada.ca/nouvelle/1167274/mort-deces-bloc-quebecois-rimouski-suzanne-tremblay.
2. Où l’on retrouve Léonard Otis (Une Forêt pour vivre, 1989), Adéodat St-Pierre (Défendre la ruralité, 2007, en ligne) et Gilles Roy (Au nom de la dignité, 2012, en ligne). Tous trois et Suzanne Tremblay furent récipiendaires de la Médaille de l’UQAR.
3. Commission du Bas-Saint-Laurent sur l’avenir du Québec, Rapport, 1995, www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageNotice.aspx?idn=21803