
Pendant la campagne électorale fédérale, Le Mouton Noir interrogera un représentant de chaque parti sur le thème de l’urgence climatique. Deuxième partie : le Parti libéral, qui veut obtenir une majorité à l’issue du scrutin.
Ancien député NPD (2011-2015) de Montmagny–L’Islet–Kamouraska–Rivière-du-Loup, François Lapointe brigue les suffrages pour le Parti libéral du Canada, une force politique qui a brillé par son incohérence en matière environnementale depuis 2015. Cela n’effraie pas cet ex-chargé des communications de Co-éco, organisme spécialisé en développement durable. Il assure que s’il est élu, il joindra l’équipe en environnement du gouvernement et fera tout pour que le Canada devienne un pays carboneutre.
Mouton Noir : Vous avez vu passer le dernier rapport du GIEC. Qu’est-ce que cela vous inspire?
François Lapointe : Ça rejoint ce que je répète. Les gens de droite ont raison quand ils disent que le réchauffement climatique est déjà arrivé par le passé, mais ce qu’ils ne disent pas, c’est qu’on est face à un réchauffement qui va si vite qu’il est associé à des dérèglements climatiques, qui contribuent par exemple aux incendies gigantesques qu’il y a à plusieurs endroits sur Terre en ce moment. Ici, depuis cinq ans, on connaît régulièrement des printemps très secs. C’est nouveau : les producteurs laitiers nous disent qu’ils ne se sont jamais inquiétés de manquer de foin pour nourrir le bétail en mai.
Le GIEC nous alerte depuis 30 ans, mais là il y a eu un changement de ton. Les gouvernements vont devoir en tenir compte immédiatement, dans les trois ou quatre ans qui viennent.
Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré que les conclusions du GIEC « doivent sonner le glas du charbon et des combustibles fossiles, avant qu’ils ne détruisent notre planète ». Sous un gouvernement libéral, c’est pour quand la fin du pétrole au Canada?
Depuis le début du mandat de Justin Trudeau, il n’y a pas eu de nouveaux projets pétroliers acceptés. Il y a une production très importante qui est là : le Canada, un peu comme la Norvège, est un pays progressiste dont une part de l’économie est pétrolière.
Il y a deux semaines, le secrétaire de l’ONU a dit : « Cessez de donner le droit d’en faire plus. » C’est la première fois que l’ONU sortait de façon aussi dure. Mais ça, au Canada, on le fait déjà. Et en 2021, le gouvernement Trudeau a fait la chose qu’il fallait faire en adoptant la loi C-12, ou Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre des efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.
Est-ce qu’en 2050, il pourrait y avoir quelqu’un quelque part qui exploite encore un peu de pétrole? Pas impossible. Mais il va falloir que dans nos activités humaines on soit carboneutres, c’est-à-dire qu’on n’émette plus de GES. À plus court terme, la position libérale c’est de s’assurer que d’ici 2030, on soit déjà à 40 ou 45% en dessous des niveaux de 2005.
Quand j’ai parlé avec les gens au leadership du PLC, je leur ai dit que mon livre de chevet, c’est le Projet Drawdown. C’est un groupe de chercheurs qui évalue l’impact de toutes sortes de politiques publiques et de champs d’activités en termes de production de GES. Ils ont un plan, ils sont rendus entre 85 et 110 points qui doivent absolument être améliorés pour penser un jour que l’activité humaine, au lieu d’ajouter des GES chaque année dans l’atmosphère, va en retirer.
L’ensemble des pays du G20 doit s’engager là-dedans. En bout de ligne, l’exploitation pétrolière va réduire beaucoup et naturellement : le parc automobile doit être électrifié le plus vite possible, et l’industrie pétrolière ne va plus offrir un service dont personne ne veut. Mais la fin rapide du pétrole en claquant des doigts, genre tous les puits fermés en 2030, c’est techniquement infaisable.
La Loi sur la carboneutralité dit que le gouvernement devra rendre des comptes chaque année au Parlement, qu’il devra expliquer d’éventuels retards et proposer des mesures correctrices, mais il n’y a rien de contraignant dans ce texte. Comment peut-on être sûr que la loi sera respectée?
C’est le grand défi. C’est pour ça que je veux faire partie de cette équipe, car il faut traduire cette loi par des actions concrètes. On ne peut pas faire la même chose qu’on a faite depuis 15 ans et penser que soudainement, simplement parce qu’on met 1,3 milliards $ pour prolonger la ligne bleue du métro de Montréal, c’est suffisant pour être carboneutre dans quelques décennies. Il va falloir faire beaucoup plus, et je vais arriver avec toutes mes compétences.
Il y a quand même des mots-clés dans la loi : ça parle de responsabilité d’atteindre la carboneutralité en 2050. Le parti sait très bien qu’on doit faire ça maintenant, qu’on en a l’obligation morale.
Je lisais ce matin des vieux articles qui disaient que vous étiez opposé au projet Énergie Est. Que pensez-vous du projet Trans Moutain?
L’entente concernant Trans Mountain, je ne peux pas la défaire. La position du ministre de l’Environnement [Jonathan] Wilkinson, c’est que tout profit qui en sort va être mis dans les énergies vertes. C’est une solution de transition.
J’aurais été contre le projet. C’est moi qui ai travaillé pour qu’il n’y ait pas de port pétrolier à Cacouna. Je n’ai pas changé là-dessus, le problème c’est qu’on est pris avec certains projets qui sont là. Il y a des économies comme Terre-Neuve ou l’Alberta où on ne peut pas tirer la plug demain matin, c’est impossible.
Le Canada investit beaucoup dans des projets verts, mais a besoin de désinvestir rapidement des industries fossiles. Il y a un engagement du Parti libéral qu’il n’y ait plus de subventions aux énergies fossiles d’ici 2025, c’est aussi un point important pour moi.
Mais le gouvernement Trudeau a donné plus de subventions au secteur pétrolier que le gouvernement Harper, 10,7 milliards $ par an selon Le Devoir!
Ça a diminué depuis trois ans, ça va être en bas de 10 milliards cette année. Ce n’est pas suffisant, mais là encore je ne peux pas revenir sur ce qui aurait dû être fait plus vite et mieux il y a quatre ou cinq ans. Si j’ai la chance d’être élu par les gens de mon comté, je vais m’assurer qu’effectivement en 2025 il n’y aura plus de subventions aux énergies fossiles.
C’est dans un mandat : je suis tout à fait prêt à mettre mon poste en jeu. Si en 2025 on n’est pas dans une courbe qui nous permet de dire qu’on va respecter cet engagement, je suis prêt à quitter mon poste.
Vous l’avez mentionné, les Libéraux promettent d’investir chaque dollar généré par Trans Mountain dans la transition écologique du Canada. Autrement dit, il faudrait détruire la planète pour se donner les moyens de la sauver. Vous ne voyez pas une aberration là-dedans?
C’est la même chose qui s’est passée à Terre-Neuve, où une portion des revenus du pétrole va faire partie du plan pour s’assurer que le dernier grand projet hydroélectrique soit rentable. Il y a un petit moment de transition, où certains profits vont aller dans des solutions comme celles-là, pendant que les subventions vont disparaître.
En parallèle, le vrai problème c’est de s’assurer qu’il y ait de moins en moins de GES le plus vite possible, et plus du tout avant 2050. Je vais plus loin : il faut que l’activité humaine capte un pourcentage de GES dans l’atmosphère chaque année, le plus vite possible.
Mais on ne sait pas capter les GES!
Cela fait partie des projections du Projet Drawdown. Une proposition qui est faite dans le livre, c’est de produire beaucoup d’algues, pour en inclure énormément dans la moulée des bovins. C’est faisable, ça! Les 7 ou 8 % d’émissions mondiales dues au méthane qui vient des bovins pourraient s’écrouler de 90 %. Si je vais à Ottawa, des solutions de ce genre vont être sur la table du Comité permanent [de l’environnement et du développement durable] le plus possible.
Vous dites qu’on ne peut pas arrêter le pétrole comme ça, mais on peut limiter la demande. Les camions légers sont le deuxième plus important émetteur de GES dans le secteur des transports. Le moment est-il venu de mettre en place une taxe sur les VUS?
C’est le genre de choses qui va faire partie des discussions au comité en environnement si j’y suis. Grâce à Hydro-Québec, les Québécois pourraient avoir une empreinte carbone intéressante, mais elle n’est pas si bonne que ça à cause de leur goût pour les gros moteurs. C’est un problème : est-ce qu’on a besoin d’un gros VUS pour aller au dépanneur quand on habite Laval? Non!
Ceci dit, selon le Projet Drawdown, l’électrification des moteurs est importante, mais ce n’est pas le point numéro un pour éviter un dérèglement climatique incontrôlable. Un point très important, c’est la gestion de tout ce qui est réfrigérant. Si la Terre prend ses climatiseurs, ses réfrigérateurs et ses congélateurs et va les mettre dans les dépotoirs sans traiter les halocarbures qu’ils contiennent, ça va poser un sérieux problème de GES…
Mais au Québec, les transports représentent 45 % des GES. C’est ce sur quoi on peut agir ici avec le meilleur impact…
Oui, on va agir sur l’électrification du parc, le plus vite possible.
Le troisième lien n’est pas loin du comté que vous convoitez. Pour ou contre?
J’aime beaucoup la position du gouvernement Trudeau, qui a rappelé qu’il pouvait être partenaire, mais pour les transports collectifs seulement. Il ne va pas payer une grande portion de la facture. C’est une position claire, constructive, qui ne condamne pas le projet mais qui met au clair le rôle que le gouvernement peut jouer.
Il y a de grands défis en environnement pour les 30 prochaines années, mais il y a une activité économique : les gens ont besoin d’aller travailler. C’est un défi énorme, car aucun projet comme le tunnel ne sera carboneutre les premières années, même si on y fait passer énormément d’autobus. Mais la position qui a été prise, de dire qu’on voudrait être partenaires en fonction du transport collectif qui sera à l’intérieur, c’est la bonne approche.