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EN FRANÇAIS S’IL VOUS PLAÎT!

Par Eric Normand le 2021/03
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EN FRANÇAIS S’IL VOUS PLAÎT!

Par Eric Normand le 2021/03

Cette phrase lancée par PKP, il y a quelques années, dans un concert du groupe du fils de Raymond Lévesque a marqué les esprits. Mais que tentait d’exprimer par ce cri maladroit notre ancien aspirant Prime Minister?

Je me propose ici de remonter le fil du temps afin de voir en quoi la défense du français est un aspect incontournable de l’histoire politique et culturelle du Québec. Pour cela, il faudra interroger le rapport entre la langue et la culture.

Car, si mon ami scientifique est catégorique : « la recherche scientifique en français, c’est une perte de temps et d’argent », la culture en français a toujours été le cheval de bataille des nationalistes.

En cela, nous n’avons rien d’original : la plupart des populations en situation de minorité linguistique ont tendance à assimiler la production culturelle à un outil de promotion et de défense de leur langue. Comme le dira Taylor : « En 1980, il valait mieux être Paul Piché qu’un groupe de jazz. »

Mais je crois qu’il faut ici apporter des nuances. Le mot « culture » est bien ambigu en cela qu’il désigne à la fois une tradition (us, coutumes, langue) et l’ensemble de la production artistique. Cette ambiguïté a maintes fois été instrumentalisée afin de créer une équivalence artificielle voulant que la seconde semble forcément porteuse de la première. Pourtant, il n’y pas grand-chose de plus opposé que « tradition » et « création », à moins que l’on donne dans la mythologie.

En effet, si l’élection du PQ, en 1976, enflammait le rêve d’un pays et faisait avancer l’imaginaire collectif à plusieurs égards, n’a-t-elle pas mené, sur le plan créatif, à un schisme désolant entre la culture qui était porteuse du mythe national et l’autre? Le nationalisme n’a-t-il pas valorisé (autant par ses images que par son financement) le violoneux en chemise à carreaux au détriment du jazzman devenu suspect par ses liens affirmés avec une culture autre. Et que dire de Mordecai Richler? Un grand auteur qui fut détesté par sa critique de cette tendance identitaire.

Pendant trop longtemps, la créativité au Québec s’est scindée entre anglophones et francophones, avec chacun son bord de « la Main ». Les musiciens francophones et anglophones jouaient entre eux sans se mélanger. Et les médias nous faisaient bien comprendre qui étaient les « bons ».

Cette attitude culturo-centrique est largement responsable d’une grande incompréhension qui perdure encore malheureusement et qui fait que le bon Québécois n’a pas vu venir la montée de la gauche anglophone que « l’intelligentsia identitaire » dénonce vertement sous le sobriquet de « woke ».

En tant qu’artiste de la musique, j’ai parfois l’impression de m’inscrire dans la première génération, celle qui a voulu franchir la ligne invisible. J’étais au cégep l’année du « vote ethnique » et, à partir de là, j’ai entendu de plus en plus la défense de la diversité.

Œuvrant principalement en musique instrumentale, j’ai travaillé autant avec des francophones que des anglophones, autant avec des Croates qu’avec des Japonais. J’ai voyagé, j’ai écouté. Pour moi, l’art est forcément synonyme de curiosité, d’ouverture à l’autre, de rencontres des cultures.

Si, à une certaine époque, la création en français était au cœur de la promotion d’un projet de société, sa défense unilatérale s’est rapidement mise à sonner creux et à mettre en relief les laissés pour compte, les créateurs œuvrant tout aussi honnêtement dans une autre langue, ou encore, en dehors du langage. La langue a pris dans notre paysage culturel une place si importante que le Québec fait partie des endroits au monde où l’on consomme le moins de musique instrumentale. Soit! Je gagne mon pain ailleurs…

Et si vous me demandez si le français est important pour moi, je réponds sans hésiter « bien sûr », c’est la langue avec laquelle je me suis construit. J’ai étudié la littérature et j’ai toujours aimé ma langue, mais j’ai la conviction qu’elle est aussi un outil de partage, d’ouverture et d’échange, pas une façon de créer des frontières.

Quand je fais un disque, peu importe dans quel pays il est produit et dans quelle langue est rédigée la pochette, j’inscris que je joue de la « basse électrique » et pas de l’electric bass ou du banjo eléctrico… C’est l’instrument dont je joue.

Aujourd’hui, le Québec se targue de son ouverture (sauf les régions, bien entendu), mais je me plais souvent à imaginer ce qui serait advenu d’une Kim Thuy si elle avait décidé d’écrire en anglais.

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