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Le français, qu’essa donne?

Par Christine Portelance le 2021/03
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Le français, qu’essa donne?

Par Christine Portelance le 2021/03

On oublie souvent que la Nouvelle-France fut la première communauté francophone unifiée, et ce, des siècles avant la France. En effet, l’unification linguistique sur le territoire de la France ne sera complétée qu’au XXe siècle. Jusqu’alors, en marge du français central, il y avait cohabitation de dialectes (« oc » au sud, « oïl » au nord) et la présence de langues de familles différentes (breton, basque, etc.). Cette diversité explique la réaction de certains visiteurs en Nouvelle-France et leurs commentaires élogieux quant à la qualité du français qu’ils entendent ici; en fait, ils n’étaient tout simplement pas habitués à entendre toute une population parler un même français.

Les questions linguistiques sont toujours politiques : le dialecte qui sera imposé est celui de l’Île-de-France, lieu de pouvoir où réside le roi. Le lecte de prestige fut d’abord la langue parlée à la cour; après la Révolution, la langue bourgeoise remplacera celle des aristocrates comme lecte de référence. Au Bas-Canada, les contacts avec la mère patrie s’étant raréfiés après la Conquête, les changements linguistiques opérés après la Révolution ne nous parviendront pas, c’est donc à partir de la langue de l’Ancien Régime que le français québécois s’est forgé; les toé et moé, entre autres, sont des vestiges d’une phonétique propre à la langue du Roy.

Les linguistes se plaisent à dire en boutade qu’une langue nationale est un dialecte avec une armée. Chose certaine, sans pouvoir politique, et sans la loi du nombre, une langue est appelée à disparaître, les Premières Nations en Amérique en savent quelque chose.

Le français peut-il survivre dans une aire provinciale du Canada, cette monarchie anglophone sise au sein d’une Amérique dont la culture bling-bling mondialisée a fait de l’anglais la langue cool par excellence? À long terme, rien de moins sûr. Après tout, l’assimilation ne requiert que deux ou trois générations. Tout dépendra de nos choix individuels et collectifs. L’anglais a une grande force d’attraction, mais l’anglomanie n’a pas ici les mêmes conséquences qu’en France. Si les prochaines générations préfèrent étudier en anglais, travailler en anglais, regarder des films en anglais, écouter des chansons en anglais, et si l’anglais, à force d’être cool, devenait la langue de la culture en plus d’être celle de l’argent, avec une telle baisse de reach, le français finirait par être out. Petit à petit, il pourrait se replier en régions et même finir par être cantonné à la sphère privée (comme l’italien dans les familles d’origine italienne, par exemple).

Née Canadienne française, devenue Québécoise dans les années soixante, je fais partie de la génération qui a ardemment souhaité que le Québec devienne un pays. J’ai vu comment le désir d’indépendance politique, accompagné d’un développement économique marqué (le modèle québécois : Hydro-Québec, Caisse de dépôt, etc.) a réussi à imposer le respect. Exit les porteurs d’eau. Les Canadiens français avaient honte de leur langue, les Québécois l’ont célébrée en faisant la part belle à la créativité (théâtre chansons, cinéma, etc.). Je continue à penser que seule l’indépendance politique peut véritablement garantir la pérennité du français. Je crois toujours à l’État du Québec et à sa société distincte où les inégalités sont moins prononcées qu’ailleurs grâce à des politiques sociales-démocrates, notamment les choix faits en éducation : des centres de la petite enfance à l’université accessible, sans oublier les cégeps qui mériteraient un peu plus de reconnaissance pour le rôle qu’ils jouent dans l’égalité des chances. Je ne suis pas de celles qui critiquent le goût des Québécois pour les consensus (que l’on partage à certains égards avec les Premières Nations), on n’a qu’à regarder ailleurs pour constater les effets pervers d’une instrumentalisation politique de la polarisation. Ses ressources énergétiques pourraient permettre au Québec d’être un véritable laboratoire pour apprendre à vivre autrement qu’en saccageant la planète.

J’aimerais que vivre en français, en Amérique, dans une société modeste, mais accueillante, libre de se développer comme bon lui semble, soit le geste de résistance de tout un peuple, mais ce sont les générations futures qui décideront de la suite des choses. Quel avenir pour le français en Amérique? Si les prochaines générations répondent d’un haussement d’épaules : « le français qu’essa donne? », alors les carottes seront cuites câlik, et son avenir crissement folklorique. Rien que d’y penser, j’entends un air de blues : « Oh, Louisiana, how can a true love go so wrong… »

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