
« La Loi sur les langues officielles à l’épreuve du débat sur le racisme » était le titre de la conférence de Linda Cardinal dans le cadre des rencontres organisées par le GRIDEQ et le CRDT-UQAR le 10 février dernier. Cardinal est professeure émérite à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et directrice régionale pour les Amériques à l’Agence universitaire de la Francophonie. Son propos, très lié à l’actualité, portait sur la pandémie comme révélatrice des inégalités linguistiques au Canada. Les données qui ont servi à l’analyse ont de quoi étonner : on a étudié les stratégies d’étiquetage sur les produits désinfectants. L’équipe de recherche a appris que ce n’est pas uniquement une dizaine de produits dont l’étiquetage se présente uniquement en anglais, comme le laissait entendre le gouvernement canadien, mais plus de 400. L’argument invoqué est celui de l’état d’urgence, ce qui est pourtant contraire aux articles de la Charte qui précisent que l’anglais et le français ont un statut de droit égal, entre autres, en matière d’emballages. Comme si la langue n’était pas un enjeu de santé publique alors que des millions de francophones doivent manipuler des produits toxiques dont le mode d’emploi n’est qu’en anglais.
Comment en est-on arrivé à soustraire le français de l’étiquetage? se demande Cardinal. Plus largement, malgré la Loi sur les langues officielles, le français est compris comme une simple langue d’identité à laquelle on retire un droit garanti par la Loi, laissé à la discrétion et au bon vouloir des autorités publiques. Si la recherche menée montre ce que l’on savait déjà, la pandémie vient accentuer la discrimination du français par l’anglais notamment dans le milieu du travail au sein de la fonction publique où la difficulté de travailler en français est grandement compromise. La pandémie révèle et accentue également l’usage du « traduidu », mot inventé par Gaston Miron, pour dire que tout s’écrit en anglais pour être par la suite traduit en français. Mais l’idée qui m’apparaît plus inquiétante est celle qui prétend, comme le souligne Cardinal, autant dans le milieu de la gauche que de la droite, que la Loi sur les langues officielles est perçue comme discriminatoire puisqu’elle ne reflète pas la diversité canadienne en oubliant les autres langues parlées, et qu’elle conduit donc à une forme de racisme. Quant à la langue française, elle est comprise comme une langue accessoire, d’accommodement et d’exclusion, contrairement à l’anglais vu comme une langue d’efficacité, de liberté et d’inclusion alors que, constate Cardinal, « sur le terrain, l’anglais discrimine et le français se ratatine »!
Et après la pandémie, quel changement? Pas grand-chose, nous dit Cardinal en reprenant dans sa conclusion l’expression « Chasser le naturel, il revient au galop ». Triste constat qui perdure et se rigidifie en temps de crise « politique ».