
C’est en visionnant le documentaire de Félix Rose que ce constat m’est venu à l’esprit : l’histoire récente du Québec a été ponctuée par des cycles de 25 ans qui ont tous été marqués par un événement majeur et déterminant dont la cicatrice s’est imprimée dans notre mémoire collective comme si elle y était gravée au fer rouge. Prenez note de ces dates et si vous êtes éveillés à la chose politique et sociale, elles s’imposeront dans votre esprit comme autant de moments fétiches : 1945, 1970, 1995, 2020.
1945
En 1945 prenait fin l’une des guerres les plus meurtrières de l’histoire. Alors que l’Europe s’éveillait dans les cendres et la désolation, la vie reprenait ici un cours plus normal, et le vide laissé par les fils, les frères ou les pères disparus s’estompait peu à peu. Dopée par les mesures de relance, l’économie allait bondir comme un tigre et poursuivre une lancée jusqu’alors inédite. Mobilisées dans les manufactures et les usines pendant que leur mari était au front, les femmes n’allaient pas si aisément accepter de quitter le marché du travail pour retrouver leur tablier et regagner la cuisine. Paradoxalement, c’est aussi au cours de ces années d’après-guerre que la natalité allait atteindre des sommets : les baby-boomers arrivaient au monde. Au Québec, une nouvelle conscience collective s’affirmait, les germes de la Révolution tranquille proliféraient et une société soumise à l’emprise du capitalisme étranger et aux diktats d’une Église omnipuissante commençait à sérieusement ruer dans les brancards.
1970
Les événements d’octobre 70 constituent en quelque sorte le point d’orgue d’une volonté affirmée de changer les choses par la violence, les protagonistes jugeant que c’est là la seule façon d’éveiller les consciences. Mais la contestation du pouvoir établi ne s’arrête pas pour autant, propulsée par une jeunesse qui réclame sa place au soleil et cherche à renverser les vieux tabous. Cette force naissante s’attaque à toutes les formes d’oppression et remet en question toutes les facettes de l’organisation sociale. Libération de la femme, parti pris pour les ouvriers et les laissés pour compte, nationalisme exacerbé, lutte pour le français, sexualité ouverte, partis politiques traditionnels conspués, on fait flèche de tout bois et rien ne semble pouvoir arrêter cette fulgurante poussée. Elle culmine en 1976 par l’élection d’un parti politique indépendantiste et résolument tourné vers la social-démocratie. Tous les espoirs sont permis, même si on commence à déceler une ombre qui s’impose avec de plus en plus de force, et qui vient graduellement brouiller l’horizon de ces lendemains qui chantent : la terre est un ensemble fini, incapable de soutenir une croissance qui, elle, cherche à s’affirmer comme illimitée. Les mots pollution et environnement font une première et modeste entrée dans le monde moderne.
1995
En 1995, le Québec joue son va-tout. Jacques Parizeau mobilise les troupes dans l’optique d’un second référendum portant sur la souveraineté du Québec. On connaît les résultats, et les moyens dont s’est servi le Canada pour contrer la volonté démocratique du peuple québécois. « Si le OUI ne passe pas cette fois-ci, il ne passera jamais, à cause de l’immigration et du vieillissement de la population », clame Christos Sirros, ancien député et ministre fédéral libéral. Les décennies qui suivront semblent lui avoir donné raison. Le Parti québécois parvient à se maintenir au pouvoir quelque temps, mais les vingt-cinq dernières années seront davantage marquées par les passages de Jean Charest et de Philippe Couillard à l’Assemblée nationale, et par celui de Stephen Harper à la Chambre des communes. Régression du nationalisme, montée de la droite, mondialisation à outrance et enrichissement constant des plus riches au détriment des plus pauvres, révolution technologique, l’informatique s’imposant de plus en plus dans nos vies, avec la prolifération des ordinateurs, portables, cellulaires, tablettes et autres, et en corrélation, pour le meilleur et pour le pire, la clameur de la grande gueule des médias sociaux… Et l’ombre dont certains, dans les années 70, ont signalé la présence et la dangerosité s’est aujourd’hui transformée en un vautour qui plane au-dessus de nos vies et menace tous les êtres vivants.
Au cours de cette même année 1995, surgissant comme un OVNI dans le ciel médiatique québécois, un OVIN de première classe dresse soudainement sa crinière noire et hirsute au-dessus de la mêlée. Et aujourd’hui, en 2020, célébrant son vingt-cinquième anniversaire en plein cœur d’une pandémie dévastatrice qui afflige tous les habitants de la planète, ce Mouton Noir dont on aurait donné bien peu cher de la peau au moment où il proférait ses premiers bêlements, ce Mouton Noir se penche sur son passé récent. Jetant ce coup d’œil dans le rétroviseur à la faveur de son anniversaire, il se dit qu’il vaut mieux célébrer aujourd’hui, car Dieu seul sait ce que nous réservent les vingt-cinq prochaines années!
2020
Pandémie et puis quoi encore?