
Connaissez-vous les monts Blanc, Fortin ou Collins? Ces vénérables montagnes qui dépassent les 1000 mètres d’altitude font partie de la chaîne des Chic-Chocs, dans la réserve faunique de Matane tout à fait à l’est du Bas-Saint-Laurent, mais ne bénéficient d’aucun statut de protection.
« Une réserve faunique, ça ne protège rien » explique Louis Fradette, qui milite depuis de longues années pour que ces sommets soient enfin reconnus à leur juste valeur. « Depuis 2013, on a beau essayer d’argumenter, d’avoir les dossiers les mieux montés possible, on reçoit toujours la même réponse des fonctionnaires [du ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs (MFFP)] et du gouvernement : on étudie… Ça fait sept ans qu’ils étudient! »
Le gouvernement du Québec s’est engagé à protéger 17% du territoire de la province d’ici la fin 2020, contre 10% aujourd’hui. Pour Louis Fradette, il est important que la chaîne des Chic-Chocs soit incluse : « M. Legault a dit qu’on allait atteindre ces 17% grâce à une bonne répartition d’aires protégées, mais les dernières informations qu’on a, c’est qu’ils vont aller mettre ça dans le Nord! C’est pour ça qu’on se dit que c’est le moment ou jamais d’agir, parce que s’il veut atteindre les 17%, on a quelque chose de fort intéressant à lui proposer! »
Depuis quelques semaines, le Comité de protection des monts Chic-Chocs, dont M. Fradette fait partie, est très présent sur les réseaux sociaux. Il a notamment lancé la campagne « Raconte-nous tes Chic-Chocs » : jusqu’à début août, les amoureux de ces montagnes sont invités à raconter dans une vidéo ou une image le lien particulier qu’ils ont avec elles. Les différentes interventions seront compilées dans un film qui sera projeté le 12 septembre à Matane, en formule ciné-parc.
Protéger les animaux… et la santé humaine
Louis Fradette aimerait que toute pratique industrielle soit prohibée entre l’accueil John de la réserve faunique et la limite ouest du parc national de la Gaspésie. Cela veut dire qu’on ne pourrait plus y faire de l’exploration pétrolière et gazière, creuser des mines, installer des éoliennes ou exploiter la forêt. L’enjeu est de taille : il s’agit de protéger l’emblématique caribou montagnard, dont l’habitat est fortement affecté par les coupes forestières qui attirent cerfs de Virginie et orignaux, et des prédateurs comme le coyote derrière eux.
Le caribou ne serait pas le seul à profiter de la création d’une aire protégée : « Il n’y a que dix couples nicheurs d’aigles royaux au sud du Saint-Laurent, et quatre d’entre eux sont dans la réserve faunique de Matane, souligne Louis Fradette. C’est aussi un endroit où la grive de Bicknell nidifie. » Par ailleurs, limiter les coupes permettra de réduire l’érosion, et donc l’afflux de sédiments dans les rivières à saumon.
Le comité de protection a quelques appuis dans le milieu politique, comme celui du député Pascal Bérubé. Toutefois, plusieurs maires des environs s’y opposent, craignant la perte d’emplois dans l’industrie forestière. Un argument qui ne tient pas la route, selon Louis Fradette : « L’impact sera faible au niveau forestier, parce que c’est juste la chaîne qu’on veut protéger. Or les montagnes sont peu intéressantes pour l’industrie, étant donné que c’est des pentes fortes d’où il est difficile de sortir du bois. » Les activités récréo-touristiques continueraient de s’y dérouler, voire gagneraient en importance, ce qui créerait des emplois.
En tant qu’humains, nous avons aussi beaucoup à gagner à mettre en place des aires protégées puisque celles-ci seraient bonnes pour la santé, d’après un rapport publié ce mardi par le collectif La planète s’invite en santé, sous la direction de la médecin de famille Sarah Bergeron. Ces zones naturelles permettent de lutter contre l’obésité et les problèmes qui en découlent, et améliorent aussi la santé mentale en faisant baisser le stress et l’anxiété. Ainsi, elles font faire des économies substantielles au système de santé. Une condition cependant : les rendre accessibles au plus grand nombre. Cela signifie qu’elles doivent être situées près des lieux où nous vivons, et que les droits d’accès ne doivent pas être trop élevés.
Les aires protégées aident aussi à lutter contre la pollution de l’air et à purifier l’eau, à tel point que le directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP) Alain Branchaud considère qu’il s’agit d’« un des meilleurs investissements publics qu’on puisse faire ». Il rappelle que sept territoires du Bas-Saint-Laurent sont candidats pour obtenir une protection, ce qui représente une superficie de 700 km2.