
Il y a à peine trois mois, en plein pic de la pandémie de covid-19, on pouvait lire un peu partout que « rien ne sera[it] plus comme avant ». La dépendance aux importations (de médicaments, de masques, d’aliments ou de travailleurs agricoles) apparaissait soudainement comme absurde, tant aux yeux des citoyens que du monde politique. L’espoir que tout change et que l’humain apprenne enfin à retrouver un peu d’humilité parcourait la société.
À mesure que le déconfinement avance et que la relance de l’économie est devenue la nouvelle urgence, tout ce beau discours semble relégué aux oubliettes. Cette semaine dans les médias, on pouvait lire que « Patrick Mahomes signe le contrat le plus important de l’histoire du sport », que « Nolinor Aviation lance la ligne aérienne OWG pour offrir des vols vers le Sud » ou encore que « La plage de Douglastown [est] malmenée par les campeurs ». Argent, consommation, pollution : finalement, 2020 commence à ressembler à 2019…
Les derniers mois ont tout de même été féconds sur le plan des idées et des débats. Fin mars, Martin Poirier a adressé avec trois autres membres de Rimouski en transition une lettre à la MRC de Rimouski-Neigette, afin d’avancer quelques propositions pour accroître l’autonomie alimentaire à l’échelle régionale. Il retient quelques aspects positifs de la première vague de covid-19, notamment que le champ des possibles s’est subitement ouvert : « La crise nous a montré qu’on pouvait accélérer des choses qui nous semblaient autrefois impossibles. Des villes ont joué avec l’urbanisme [en piétonnisant des artères, par exemple] alors qu’on nous prétendait qu’il était impossible de le faire. »
Surtout, il y a eu un changement dans notre rapport à la production agricole, pense-t-il. « La souveraineté alimentaire était présentée comme une vertu : on voyait les circuits courts et les marchés publics comme des moyens d’améliorer la qualité de vie. Là, on s’est mis à parler de sécurité alimentaire : on ne veut plus produire du maraîcher seulement pour ceux qui peuvent se payer un panier biologique, mais aussi pour approvisionner les banques alimentaires. »
Le Mouton Noir a eu l’occasion de couvrir plusieurs initiatives allant dans le sens d’une plus grande sécurité alimentaire ces dernières semaines : nouveau site web pour l’agriculture urbaine dans la MRC de Rimouski-Neigette, autorisation des poules dans certains villages, Panier valérienois… Au niveau provincial, Hydro-Québec a annoncé son intention d’offrir un tarif préférentiel à un millier de producteurs en serre, ce qui permettra d’allonger la saison de production.
Cependant, Martin Poirier regrette que l’agriculture québécoise reste imbriquée dans la mondialisation, en faisant venir des travailleurs étrangers d’une part et en favorisant des productions d’exportation comme le porc d’autre part. Et puisque le monopole syndical de l’UPA n’a été aucunement contesté durant la pandémie, on peut s’attendre à ce que ce soit les gros producteurs qui profitent de la souveraineté alimentaire version CAQ.
Se débarrasser du « carcan idéologique »
De son côté, depuis sa résidence entourée d’un énorme jardin en plein cœur du village du Bic, Jérôme Motard avait adressé une lettre à la Ville de Rimouski pour faire quelques propositions, « des choses simples qu’on pouvait mettre en place concrètement » pour favoriser la production locale de nourriture. Le résultat le déçoit : « Il y a juste eu cette déclaration comme quoi on va faire cinq jardins libres centrés sur Rimouski. Sainte-Blandine, Pointe-au-Père et Le Bic n’existent pas! »
M. Motard est plutôt pessimiste pour l’avenir, citant en exemple le projet de loi 61, temporairement abandonné par le gouvernement : « Tout a été mis en place pour repartir une machine à l’identique. » Présenté en grandes pompes à la mi-juin par les élus locaux, le plan de relance économique pour Rimouski-Neigette tend à lui donner raison : la seule mesure environnementale proposée est un plan d’aide aux municipalités pour l’amélioration de la qualité des cours d’eau et des lacs.
Le reste? Des vieux projets qu’on tente d’accélérer, comme l’agrandissement de l’aéroport de Mont-Joli ou encore le prolongement de l’autoroute 20. Jérôme Motard voit dans ces propositions l’empreinte d’un « carcan idéologique » qui empêche de penser autrement. « Comme si, après la covid, face à toutes ces urgences, notre seul potentiel, c’était de créer une autoroute à 1 milliard $! »
D’autant plus que les dépenses effrénées des gouvernements devront tôt ou tard se traduire par de sévères politiques d’austérité, comme cela s’est passé après la crise financière de 2008, et une recherche obsessive de croissance économique qui aura nécessairement des impacts sur l’environnement. « Les citoyens font leur job » en réfléchissant et en proposant des solutions alternatives au modèle dominant, martèle Jérôme Motard, mais il arrive à la conclusion que « la masse critique n’est pas là. La crise n’a pas frappé assez fort, malheureusement. »
Et il pense que plutôt que d’aller de déception en déception, le moment est venu pour la population de s’autonomiser : « Peut-être qu’on peut faire des choses de façon plus libre, entre voisins, en désobéissant un peu aux différents règlements. J’ai grossi mon jardin pendant la covid, que la Ville soit d’accord ou non. Quand tu as cette conscience, mets-la en pratique et crée des liens avec les gens qui ont déjà compris ça. »