Actualité

Lumière et ombre sur le développement en Afrique

Par Jean-François Girard le 2020/03
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Lumière et ombre sur le développement en Afrique

Par Jean-François Girard le 2020/03


Fraîchement revenu du Sénégal après une année de travail comme coopérant en agroenvironnement avec l’Union des producteurs agricoles volet Développement international (UPA DI), je livre ici, sans prétendre être un spécialiste, quelques expériences, constats et découvertes sur l’agriculture paysanne, le développement en Afrique et la coopération internationale.

LE CÔTÉ LUMINEUX

Approche gagnante en coopération

Dans le domaine de l’aide internationale, il y a le meilleur comme le pire. Je pense avoir goûté au meilleur. J’ai été impliqué dans une démarche de gestion communautaire des ressources naturelles qui s’inscrit dans un important programme de soutien aux groupements paysans et aux exploitations agricoles familiales. Cette démarche consiste à offrir de la formation, de l’accompagnement et du financement pour la mise en place de projets d’amélioration des conditions agroenvironnementales – le projet, dans mon cas, concernait la revitalisation de 16 milieux humides.

Les partenaires locaux sont des organisations paysannes fédératives comptant quelques milliers de membres individuels réunis en des dizaines de groupements villageois. UPA DI entretient avec ces partenaires des relations d’accompagnement sur le long terme pour le renforcement des capacités locales et l’amélioration des conditions de vie en milieu agricole, en privilégiant une approche de coopération de paysans à paysans. Les coopérants ne sont pas des gestionnaires de projets élaborés dans des bureaux au Québec, mais plutôt des accompagnateurs auprès d’organisations et de communautés qui sont engagées dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs propres projets, soutenus par la formation d’UPA DI et le financement d’Affaires mondiales Canada. J’ai vraiment pu constater les bénéfices de cette approche de solidarité paysanne et d’accompagnement de proximité, dans la durée. À travers les années, les organisations et les paysans touchés ont notamment accru leur niveau de sensibilisation, de mobilisation et de compétences en gestion, en gouvernance et en communication. Dans de nombreuses exploitations familiales, les revenus ont augmenté et les rapports hommes-femmes sont devenus plus égalitaires. Cependant, les petites exploitations familiales sont elles aussi soumises en partie aux règles du marché mondialisé de l’agroalimentaire. Elles ne font évidemment pas le poids et doivent lutter contre l’appropriation des terres ou les conséquences du développement extractiviste.

LE CÔTÉ SOMBRE

Agriculture paysanne menacée

Encouragé par des corporations privées, des organisations internationales et des États qui y trouvent leur compte, l’État sénégalais et divers partenaires internationaux sont convaincus que l’agriculture industrielle est une source de richesse et de développement. On cherche à mécaniser et à uniformiser les cultures sur de grandes surfaces. On cherche à exporter. On subventionne les engrais chimiques. On centralise la mise en marché. On favorise l’implantation de l’agrobusiness en octroyant des milliers d’hectares des terres de l’État à de grandes entreprises étrangères qui nourriront l’Europe. Les paysans qui habitent et cultivent le territoire rural sénégalais depuis des générations n’ont généralement aucun droit foncier et peuvent être délogés demain sans compensations. Dans ce système productiviste, le paysan est largué, il ne peut pas suivre la cadence. Il est de plus en plus dépendant du marché des semences, des engrais, des pesticides et de la machinerie. Il débourse toujours et a de moins en moins de pouvoir sur la mise en marché et sur les prix. Le modèle mondialisé qui lui est imposé est censé augmenter les revenus agricoles et améliorer les conditions de vie. Pour les centaines de milliers de paysans pratiquant une agriculture familiale de subsistance sur de petites surfaces, c’est tout le contraire qui se produit. Ces paysans s’appauvrissent et plusieurs perdent leurs terres et deviendront une main-d’œuvre agricole bon marché ou quitteront leur terroir vers la misère urbaine. Ceux qui bénéficient de ce modèle agricole ne se salissent pas au champ et plusieurs n’ont pas la peau noire. Le même scénario se répète dans nombre de pays africains.

Extraction effrénée des ressources naturelles

L’extractivisme est l’autre modèle économique dominant au Sénégal et ailleurs en Afrique. Les ressources minières, pétrolières, forestières, halieutiques et hydriques sont exploitées, voire pillées, comme jamais, presque partout sur le continent. Le nombre de projets d’exploitation des matières premières et le nombre de corporations étrangères impliquées explosent littéralement. L’environnement se dégrade rapidement et certaines ressources s’épuisent. Au Sénégal, par exemple, des paysans voient leurs précieuses nappes phréatiques disparaître au profit des cimenteries. Au Burkina Faso, d’autres sont chassés de leur terre pour permettre l’implantation d’une mine d’or. Au Gabon ou en RDC, de lucratifs trafics de bois précieux terrorisent la population et dévastent les forêts primaires. Le rouleau compresseur de l’économie extractiviste mondialisé est bien engagé sur le continent et ce sont toujours les plus pauvres et les générations à venir qui écopent.

Quand on ajoute à ce portrait d’autres grands fléaux continentaux comme la corruption endémique, la menace djihadiste et l’insécurité croissante, les effets des changements climatiques ou la croissance rapide de la population, on peut parfois se demander si nos efforts en coopération internationale en valent la peine. Pour ma part, j’ai envie d’y croire, de me centrer sur son côté lumineux, de demeurer solidaire et de mettre l’accent sur l’aide de proximité, à travers des projets à petite échelle ayant un effet direct sur les conditions de vie locale au quotidien.

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