
« Les [promoteurs] règnent et raisonnent en termes de profits, alors que la Ville, reléguée au rôle d’intendante, doit sans cesse rappeler que les quartiers sont d’abord des lieux où des gens vivent, créent, rêvent, se mobilisent…1 »
Les exemples où le développement des municipalités est laissé au bon vouloir des promoteurs de toutes sortes se multiplient, avec des conséquences désastreuses sur nos quartiers et nos milieux de vie. Nous en avons un bon exemple, ici à Rimouski.
Les résidents du chemin de Lausanne, district Sacré-Coeur à Rimouski, devraient subir prochainement (en 2020) un préjudice sérieux et irréparable, en raison de l’implantation d’une usine de béton bitumineux, propriété de Construction BML Division Sintra Inc., dans une carrière en périphérie de leur quartier. Et pour le maire de Rimouski, Marc Parent, qui a déclaré que ces gens n’habitaient pas dans un « quartier », voici la définition de ce mot selon le Larousse : « Partie d’une ville ayant certaines caractéristiques ou une certaine unité. »
De près ou de loin, 92 résidents seront touchés par cette usine. Dans les faits, un secteur agricole sera transformé en zone industrielle avec la bénédiction de la Ville, au détriment des citoyens de ce secteur. Je crois qu’en prenant certaines décisions, la Ville de Rimouski souffre d’égarement. Prenez par exemple le refuge animal qui sera construit en 2020. Il sera situé dans le parc industriel tandis qu’une usine d’asphalte, une industrie lourde avec nuisances élevées, sera située dans un secteur agricole, près d’un quartier résidentiel. Que faut-il comprendre de tout cela!?
Les citoyens concernés et bien d’autres ont montré, depuis octobre 2019, qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale pour ce projet insensé. Pourquoi la Ville n’a-t-elle pas reculé? Je vous laisse tirer vos propres conclusions, mais la réponse semble claire pour le comité de citoyens, qui a travaillé avec insistance, voire une ardeur opiniâtre sur ce dossier. Une dimension, pour l’instant, appartient à ces citoyens, et je me garderai d’en parler.
Dans le passé, à plusieurs autres endroits au Québec (Îles de la Madeleine, Montmagny, Drummondville, Pointe-du-Lac, Gatineau, Saint-Nicéphore, Plantagenet, etc.), des citoyens ont défendu leur droit de vivre dans un environnement sain, exempt d’industries lourdes à nuisances élevées. Aujourd’hui et demain, l’histoire se répète et se répétera. Le problème est que l’argument économique, martelé par un lobby puissant et tenace, pèse toujours très lourd dans la balance, beaucoup plus que l’environnement et une certaine classe de citoyens.
Est-ce qu’une municipalité peut agir contre l’intérêt et le bien-être d’un groupe de ses citoyens en appuyant l’implantation d’une usine industrielle lourde, qui leur causera de graves préjudices? Dans un jugement de la Cour supérieure, le 28 février 2018, l’honorable juge Nicole Tremblay, J. C. S., déclarait :
L’intérêt public, le bien-être collectif d’une communauté et la sécurité des citoyens doivent être soupesés dans tous les projets introduits dans une municipalité. Les municipalités sont reconnues comme palier gouvernemental et doivent assumer leurs responsabilités dans la protection de l’environnement sur leur territoire en respect du principe de la subsidiarité. […] La Cour supérieure […] précisait en 2011 que les municipalités du Québec n’échappent aucunement au rôle qu’elles doivent jouer dans la protection de la qualité de l’environnement. Le Tribunal rappelle qu’une municipalité a le devoir de faire respecter sur son territoire le principe de précaution, lequel est maintenant enchâssé dans la Loi sur le développement durable.
Le 22 janvier 2020, le journal Le Soir relatait les paroles du maire de Rimouski à propos du camionnage lourd que doivent subir depuis des années les citoyens de Rimouski-Est : « On s’entend tous pour améliorer la sécurité, mais il reste malheureusement beaucoup à faire pour atteindre les objectifs qu’on s’est fixés afin de séparer l’aspect industriel de l’aspect résidentiel, amener la tranquillité que les résidents de Rimouski se doivent d’avoir. » Comment expliquer que ce discours est bon pour les résidents de Rimouski-Est, mais pas pour ceux du chemin de Lausanne?
Depuis 2006, la nouvelle Loi sur le développement durable a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Cette loi est la première qui prend en compte le caractère indissociable des humains à l’intérieur de leur dimension environnementale. Voici un des 16 principes retenus par cette loi : « Les personnes, la protection de leur santé et l’amélioration de leur qualité de vie sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Les personnes ont droit à une vie saine et productive, en harmonie avec la nature. »
Tel que le montre le portail Agenda 21 et les nombreuses pages Web et documents signés par les maires de Rimouski, la municipalité a adhéré, il y a plusieurs années, à la Loi sur le développement durable et à ses principes, maintenant enchâssés dans la vision de la Ville de Rimouski. Trouvez l’erreur!
1. Aurélie Lanctôt, « Souverains des villes », Le Devoir, 29 novembre 2019.