
Depuis des décennies, les créateurs et les créatrices d’œuvres littéraires et cinématographiques inventent des récits teintés d’un réalisme étonnant qui sensibilisent le public à certains enjeux. Plus que jamais, alors que la crise climatique menace l’équilibre du monde, ces œuvres permettent une profonde réflexion et une prise de conscience essentielle. Par une exploration allégorique et un respect authentique de la nature, ces fictions revendiquent un passage à l’action mondial.
Le message écologique de la trilogie Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien est sans aucun doute l’aspect le moins connu de ce chef-d’œuvre, dont la mission écoresponsable fut adroitement détournée par sa célèbre adaptation cinématographique qui encouragea, malheureusement, les fanatiques du matérialisme, du monde des célébrités et des jeux télévisés à poursuivre ardemment leur quête insensée. Pourtant, lorsqu’il créa la Terre du Milieu, où se déroule son histoire, le professeur d’Oxford posa des éléments hautement significatifs permettant à la fois de résoudre et de mieux comprendre les enjeux environnementaux d’autrefois, évidemment toujours d’actualité.
L’obsession de l’anneau
Ainsi, selon plusieurs lectrices et lecteurs assidus de l’œuvre, l’anneau unique créé par Sauron, le seigneur des ténèbres, afin de dominer le monde libre illustre le danger que représente la société de la technologie. Il est possible que l’obsession de la créature Gollum pour l’anneau unique, qui lui permet de jouir d’une quasi-immortalité mais qui le rend dément1, soit une mise en garde. Aussi Tolkien imagina-t-il le Mordor où demeurent Sauron et ses armées, la seule région de la Terre du Milieu qui incarne la mort et qui est impitoyablement maîtrisée par la production industrielle. À des centaines de milles de là se dresse la vaste forêt de Fangorn, habitée par les ents, des créatures sylvestres mi-arbres mi-géants douées de parole qui protègent la flore des étrangers malintentionnés et des assauts venus du Mordor.
Ces bergers des arbres, comme les appelait amicalement Tolkien, voient leur influence sur le monde diminuer au fur et à mesure que les autres peuples colonisent la Terre du Milieu. Les ents disparaissent presque complètement, se réfugient au plus profond de la forêt de Fangorn jusqu’à ce que leur existence devienne légende. Les huorns, des arbres lugubres connus pour s’envelopper de brume lorsqu’ils se déplacent et tomber sur leurs ennemis avec une force terrible, furent bientôt plus nombreux que les sages ents dans la forêt de Fangorn. Bien que très imagée, cette histoire suggère l’extinction possible des forêts anciennes et de leur sagesse, pourtant indispensables à l’équilibre vital du monde.
Le professeur Tolkien portait une affection singulière aux arbres et montrait une fascination et un respect importants à leur égard2. La dernière marche des ents, scène grandiose où les géants sylvestres attaquent les armées du magicien Saruman qui déboisent la forêt de Fangorn, caractérise l’amour de Tolkien pour la flore. Dans ses fictions, jamais l’écrivain britannique ne laissa la technologie et l’industrie gagner leur bataille acharnée contre le monde naturel.
Cela dit, Le seigneur des anneaux, inspiré du poème épique en vieux norrois « Beowulf », se déroule à un âge qui rappelle l’époque médiévale, dans une nature sauvage et rude, souvent dépourvue de romantisme. Les peuples libres de la Terre du Milieu ont généralement un mode de vie empreint de simplicité et de lenteur, se déplacent à pied ou à cheval, vivent en symbiose avec la nature et montrent une certaine souveraineté alimentaire. Dans les années 1970, l’œuvre littéraire aurait même inspiré David McTaggart, le fondateur de Greenpeace, et aurait contribué à l’essor du mouvement écologiste aux États-Unis pour lutter contre la déforestation et en Angleterre pour résister à l’imposition de nouvelles routes3.
Tuer l’esprit de la forêt
La trilogie de Tolkien entretient avec la nature un lien unique rarement présent dans d’autres épopées. Toutefois, l’œuvre cinématographique Princesse Mononoké du réalisateur Hayao Miyazaki s’inscrit dans ce même registre pour ce qui est de la subtilité du scénario et du message écologiste. Paru en 1997, ce long métrage japonais est indubitablement l’un des plus beaux hommages à la nature, une allégorie de la lutte entre les civilisations humaines et le monde naturel4. Dans Princesse Mononoké, le poète Miyazaki utilise plusieurs techniques, dont l’anthropomorphisme du monde animal, afin d’avertir le spectateur que les humains devraient être plus respectueux de la nature.
En ce sens, les loups, les orangs-outans et les sangliers géants qui peuplent l’univers de Miyazaki sont menaçants, réalistes et pourvus d’une sagesse instinctive. Ainsi, lorsque le jeune archer Ashitaka se retrouve dans la forêt ancienne, la louve géante Moro s’adresse à lui et affirme que la forêt dévastée pleure, mais qu’il ne peut pas entendre le sanglot des arbres. Souvent relégués à l’arrière-plan, les kodomas, des petits lutins translucides qui incarnent l’âme de la forêt, provoquent l’angoisse chez les humains qui les rencontrent5. Ces deux passages soulignent respectivement l’ignorance des humains et leur inaptitude à survivre en milieu naturel depuis qu’ils sont habitués au confort industriel. Vers la fin du long métrage, une humaine coupe la tête de l’esprit de la forêt, un dieu cerf au visage de primate, en espérant offrir l’immortalité à l’empereur. Ce geste tue la forêt entière, et les humains doivent rendre sa tête au dieu cerf pour permettre à l’écosystème de retrouver son équilibre. Bref, il s’agit d’un puissant avertissement du danger que représentent l’avidité et la convoitise humaines.
Les chefs-d’œuvre de Tolkien et de Miyazaki suggèrent que les œuvres de fiction sont parfois aussi influentes que les discours ou les documentaires pour inspirer le public et le convaincre de s’engager dans la révolution écologique.
1. « Gollum », Wikipédia, fr.wikipedia.org/wiki/Gollum
2. « J.R.R. Tolkien », Wikipédia, fr.wikipedia.org/wiki/J._R._R._Tolkien
3. The Encyclopedia of Religion and Nature, Bron R. Taylor (éd.), 2006, p. 1093.
4. Kieran Enright, « Princess Mononoke and Our Relationship with Nature », Medium.com, mars 2018.
5. Ghibli, les artisans du rêve : hommage au studio, Ynnis, 2017, p. 36-37.