
L’éducation est une vaste entreprise1 qui devient de plus en plus une affaire commerciale ou industrielle, dirigée en vue de produire des biens ou des services pour le marché. C’est une unité économique de production. Par son fonctionnement, elle participe résolument et activement aux performances de l’économie nationale et au déséquilibre des structures sociales. Ce que je retiens toutefois, c’est surtout qu’elle n’est plus un milieu inclusif. Elle ne vise plus le développement d’un humain en l’éduquant, en lui transmettant « des savoirs importants retenus pour leur contribution à la formation de l’esprit, à la construction de l’autonomie et à la préparation à un exercice éclairé de la citoyenneté2».
Il fut un temps où l’école était aux mains des religieuses et des religieux. C’était déjà là un système fondé sur une méritocratie. Le mérite déterminait la hiérarchie dans la classe, dans le village, puis au séminaire, et dans la société. En 1964, le gouvernement de Jean Lesage provoquait une prise de parole par des couches entières de la population qui, jusque-là, n’avaient jamais parlé et dont l’élite, le clergé et les professions libérales s’étaient fait les porte-parole3. Par ailleurs, la Commission des États généraux sur l’éducation constatait en 1996 que l’accès à l’école ne présageait pas une scolarisation réussie. L’idéal, souhaité en 1964, de l’accessibilité à la réussite pour toutes et tous sombrait.
Malgré les intentions du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur de « poursuivre la réussite éducative de toutes et de tous, un virage marqué par des valeurs d’équité, d’inclusion et d’égalité des chances4 », en 2019, nous faisons face à une école à trois vitesses : la grande vitesse, c’est l’école privée; la vitesse moyenne, c’est l’école qui offre à l’élève et à ses parents la possibilité d’accéder à un programme particulier. La petite vitesse? La classe ordinaire! Entendons-nous, la classe ordinaire roule à petite vitesse non pas par la faute de l’enseignante ou de l’enseignant ou par la faute des élèves qu’on y trouve. C’est la classe où votre enfant se trouve si vous n’avez pas l’argent pour l’inscrire à l’école privée ou dans un groupe visé par un projet pédagogique particulier. C’est la classe dégarnie de ses meilleurs éléments, de ses musiciens, de ses sportifs, de ses créatifs. C’est la classe où la mixité des profils est absente et a été filtrée. On y a fait du profilage.
Jusque dans la classe, le gouvernement incorpore de plus en plus une approche, un vocabulaire et des indicateurs chiffrés pratiqués par des comptables. L’école sert des impératifs : ceux du gouvernement, ceux de l’économie, ceux de la performance, ceux des choyés, ceux de l’élite. C’est une approche bancaire où les économistes sont rois. Un exemple : selon les économistes, c’est le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) qui est la mesure étalon pour classer les pays selon leur performance en éducation. C’est de nouveau la méritocratie! Le PISA a été mis sur pied par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une organisation internationale d’études économiques dont les pays membres ont en commun l’économie de marché. C’est la définition même que se donne l’OCDE. Cela ne s’invente pas!
Mixité sociale
Pourquoi une évolution vers une école inclusive à pédagogie inclusive est-elle si complexe? Pourquoi est-il si difficile d’en arriver à une situation où la qualité de l’offre est égale, peu importe l’école choisie?
Le gouvernement doit assurer la qualité de l’offre partout, dans toutes les écoles. Ainsi le choix que pourraient faire certains parents ne pénaliserait pas les autres. Il en découlerait progressivement une plus grande mixité sociale dans les écoles. Il faut remettre en question certains éléments de la forme scolaire actuelle pour penser davantage en fonction d’un cadre éducatif. Et dans chaque comité d’école, il faut réclamer une gestion fondée sur des valeurs humanistes et s’opposer à la gestion par résultats.
L’économie de marché ne peut plus être la seule voie et la voix du plus fort. Ce système est défectueux et nous abrutit à petit feu. Avec une éducation à trois vitesses, l’école génère elle-même les inégalités sociales5, alors qu’elle doit être protégée contre cette approche. Le gouvernement doit être le bouclier empêchant l’invasion et la contamination de la classe par l’économie. Or, par sa nature, celui-ci ne peut l’être, car il est le parti des entreprises. Il est à droite et privilégie l’approche « à droite toute! ». En dernier ressort, le citoyen sera ce bouclier. Pourquoi attendre cet appel?
1. Au sens d’« entreprendre quelque chose, de commencer une action », Larousse.
2. Normand Baillargeon, « Parler de sexualité à l’école », Le Devoir, 18 mai 2019.
3. Le début d’un temps nouveau,
www.larevolutiontranquille.ca/fr/epilogue.php
4. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Plan stratégique 2017-2022, https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/education/publications-adm/plan-strategique/plan_strat_2017-2022.pdf?1554139231
5. Conseil supérieur de l’éducation. Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016. Remettre le cap sur l’équité, 2016,
www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/CEBE/50-0494.pdf