
Cet hiver, dans le cadre du concours Drôles de bêtes, le Musée de la civilisation a lancé un appel aux artistes en art populaire : concevoir des bêtes imaginaires à partir de matériaux de récupération. Résultat : huit lauréat·e·s dont les « créatures » habitent le toit du musée pendant l’été. Cinq d’entre elles viennent du Bas-Saint-Laurent, dont le Pétosaure, grand gagnant, qui fera son entrée dans les collections nationales du Musée.
Le Mouton Noir a rencontré Danielle Samson, alias Madame Wezo, dans son atelier, à Saint-Éloi.
Le Mouton Noir – Madame Wezo, parlez-nous de la genèse de cette pièce.
Madame Wezo – Je me suis inspirée de l’usine de biométhanisation de Cacouna. C’est pour ça que la pièce s’appelle Giroveloce vireventus, dit le Pétosaure. Le Pétosaure fonctionne avec un gaz très spécial, récolté grâce à un appendice qui peut détecter les flatulences de péteux de broue à des kilomètres. Et, disons-le, la matière première ne manque pas.
LMN – De quels matériaux se compose le Pétosaure?
MW – D’un bidon de 45 gallons, en métal. Tout est en métal et en bois avec un peu de plastique. La tête, c’est une bouilloire. Ça tourne, parce que c’est un Giroveloce vireventus dit le Petosaure. Il y a un échangeur d’air comme on trouve sur les granges, c’est la base, qui est soudée sur le 45 gallons. Les pattes, c’est des griffes de jardinier anciennes. Il y a un entonnoir. Le cou, c’est des chaudières à sirop d’érable. Les yeux, des poignées de bureau.
LMN – Comment travaillez-vous? Quelle est votre démarche?
MW – J’aime me moquer des travers de mes contemporains. Provoquer pour approfondir les choses. On est toujours inspiré par son environnement. Un artiste, c’est le filtre d’un environnement. Ça teinte ce que tout le monde voit, mais d’une autre façon, d’un autre point de vue. Il faut s’amuser sinon on va pleurer tout le temps. Je récupère. C’est une démarche écologique, mais je n’ai pas le choix d’aller acheter des matériaux de temps en temps : peinture, colles, produits de base, et ce n’est pas donné. Dans le fond, les artistes laissent pas mal d’argent dans la société. Ils n’en font pas, mais ils en laissent.
LMN – Comment se passe la diffusion de votre travail?
MW – C’est difficile, la diffusion. Il faut une grande gueule et une visibilité constante. Il y a beaucoup de concurrence. J’expose chez nous. J’ai d’ailleurs proposé au journal Info Dimanche de faire une sortie de route. Parce que les sorties de route, les accidents, c’est bien couvert par la presse. J’avais imaginé exposer mes pièces cul par-dessus tête dans le banc de neige et annoncer que Madame Wezo, en revenant d’une exposition, avait fait une sortie de route et que tout son matériel s’était étalé dans la neige. Ce qu’on fait ailleurs, à Québec, n’est pas couvert ici. Pourtant on est plusieurs du Bas-Saint-Laurent à avoir remporté le prix. Nous devons parler de notre travail sur nos pages Facebook, sur le Web. Par contre, les ventes se font à l’atelier, essentiellement pendant les deux mois d’été, quand les touristes viennent me voir.
J’ai aussi de bonnes vitrines à Québec. Il faut souligner le travail de Gervais Tremblay, de la boutique Au rendez-vous du collectionneur, 123 rue Saint-Paul. Il se spécialise dans l’art populaire et expose environ 90 artistes. Il vend partout aux États-Unis. Il a beaucoup diffusé Madame Wezo, entre autres. Il y a aussi une galerie d’art populaire ouverte l’été à Kamouraska, avenue Morel.
LMN – Qu’est-ce qui caractérise l’art populaire?
MW – C’est de l’art qui ne se prend pas au sérieux. C’est accessible à tout le monde. Il faut que ça reste simple. C’est pour ça que c’est populaire. On ne se pose pas 30 000 questions pour savoir ce que ça veut dire : ça saute aux yeux. Il y a une dimension ludique, humoristique et poétique. Souvent, on reproduit ce qui nous tient à cœur. L’art populaire peut servir à faire passer des messages, mais il n’a pas forcément de dimension sociale. C’est un art qui est plutôt ancré dans le quotidien. Enfin, tout dépend de l’artiste.
LMN – Qui êtes-vous, Madame Wezo?
MW – Je suis originaire de Québec et dessinatrice patroniste. J’ai travaillé dans la confection, à mon compte. J’ai aussi été représentante dans le vêtement en gros, à Montréal. Ensuite, j’ai tout laissé. Je suis partie en Abitibi et je suis retournée sur les bancs de l’école en foresterie. Après l’Abitibi, j’ai atterri ici, dans le Bas-Saint-Laurent.
LMN – Que trouve-t-on dans votre atelier?
MW – Des annulateurs coupe-niaiseries, ou méduses à médire. Il s’agit de carillons qui annulent toutes les niaiseries qu’on peut dire. C’est un excellent cadeau de mariage. Des Wezo. Si les ailes sont en forme de cœur, ils portent un message d’amour. Sinon, leur bec picosse. Il y a des messages qu’il faut bien faire passer. Des Toutis, avec des pieds en fourchettes, pour souligner les dix ans de Madame Wezo. C’est une série numérotée pour les collectionneurs. Il y en a 50. Pas plus. Il y a aussi de grosses pièces taillées à la scie mécanique. D’authentiques squelettes de placard. Et bien d’autres choses. Tout est fabriqué avec des matériaux de récupération.
LMN – Madame Wezo, avez-vous vraiment besoin de manger?
MW – Non, bien sûr. On n’a pas le temps de manger. C’est une bonne affaire qu’on n’ait pas les moyens.
Les œuvres de Madame Wezo sont prisées par des collectionneurs du monde entier (États-Unis, Allemagne, France, Ukraine, Chine). Pour en savoir plus : www.facebook.com/Danielle-Samson-madame-Wezo-501150506597431/