
Monsieur,
Comme convenu, je donne suite à l’échange téléphonique que nous avons eu cet été, où vous aviez accepté mon invitation à discuter en personne des intérêts du syndicat que vous représentez et des enjeux de l’agriculture au Québec.
À une époque où le virtuel semble vouloir digérer les rapports humains, les fermiers de famille, par leur mode de vie, contribuent à un retour du lien dans leur communauté. Ainsi, nous éliminons les intermédiaires entre la ferme et le consommateur, et prenons en main les paramètres de notre viabilité. Nous redonnons un sens noble à ce que nous faisons et des valeurs saines à ce que nous mangeons. Notre rôle est essentiel dans la société. Nous incarnons un mode de vie.
Les élections provinciales maintenant derrière nous et les termes de la nouvelle entente de libre-échange adoptés, je vous propose aujourd’hui l’ébauche d’une discussion en sept points qui correspondent à mes préoccupations d’entrepreneur maraîcher et que je partage avec plusieurs de mes concitoyens, acteurs de la transition, ici, à Rimouski. Dans l’optique de me conformer à la loi de 1972 sur les producteurs agricoles, je vous remettrai avec plaisir ma cotisation annuelle de 400 $, en personne, si vous me convainquez de manière rationnelle et argumentée de la pertinence d’adhérer à votre organisation et du bien-fondé de ses aspirations.
Mes sept préoccupations
1. L’évolution du syndicalisme paysan a pris une tangente particulière au Québec. Comment expliquez-vous cette mise en place inédite au Canada d’un monopole syndical agricole?
2. L’autonomie alimentaire de la province est passée de 80 % en 1985 à 30 % en 2013 à la suite de la mise en place de politiques de libre-échange. Quels avantages ont les régions du Québec et leurs ouvriers paysans à privilégier l’exportation et la conquête des marchés internationaux?
3. La financiarisation de l’économie pousse les paysans à l’accaparement des terres et à la mécanisation à outrance. Ces derniers vivent dans une logique d’exploitation maximale de leur ferme afin d’obtenir des rendements démesurés par rapport aux besoins de leur communauté. À défaut d’être soutenable, cette dissonance est-elle souhaitable?
4. La société civile tente aujourd’hui de trouver des solutions de rechange à la dépendance au pétrole afin de s’affranchir des paradigmes productivistes qui hypothèquent nos écosystèmes et notre santé. Pourquoi freine-t-on le retour à une agriculture familiale, modèle viable pendant des millénaires?
5. La Financière agricole, sous les recommandations de l’UPA, se voit octroyer par le gouvernement du Québec, un budget annuel de plus de 600 M$ pour favoriser notamment le démarrage d’entreprises. Néanmoins, sans logique financière d’expansion maximale, aucune aide n’est attribuée. Comment un organisme au statut juridique privé comme l’UPA contribue-t-il au bien commun?
6. L’historique des recherches sur l’utilisation des semences transgéniques et de l’agrochimie a montré le mépris des groupes d’intérêt pour les populations et l’asservissement des gouvernements successifs devant leurs objectifs. Quel est le rôle de l’UPA dans l’immunité accordée à ces criminels?
7. La Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, mandatée en 2006 par le gouvernement du Québec, a avancé plusieurs recommandations pour s’adapter aux changements à venir dans le monde agricole. Le rapport suggérait entre autres que les paysans retrouvent leur liberté d’adhésion syndicale. La Commission, en soulevant le paradoxe de l’adhésion « volontaire-obligatoire », soulignait la posture exclusive de l’UPA comme référence en syndicalisme agricole. Selon vos chiffres, 94 % des producteurs québécois adhèrent à l’UPA. Pour les 6 % de non-adhérents, la cotisation est néanmoins obligatoire. Au total, les cotisations rapportent annuellement à l’UPA 13 M$.
Pourquoi ne pas rendre publique la liste des 41 500 producteurs enregistrés au MAPAQ, tous secteurs confondus, afin que d’autres syndicats puissent se constituer et leur proposer des solutions de rechange adaptées à leur réalité?
Il y a quelques mois, l’économiste en chef et directeur général de votre organisme, M. Charles-Félix Ross, m’a qualifié, lors d’un entretien téléphonique, de « p’tit criss d’arrogant ». J’ai eu le malheur de lui demander des explications sur les raisons légales qui m’obligeaient à cotiser à un syndicat dont les aspirations divergent de celles de mon entreprise. J’ose espérer qu’en tant que président, vous participerez à notre discussion de façon courtoise et constructive afin qu’ensemble, nous puissions mettre fin au dialogue de sourds entre les artisans du sol et les virtuoses de la haute finance.
Martin Plourde
Responsable de la production
Les Serres du Phénix